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Critique de MarcelP


Génial maelström, le Moine nous engouffre dans un flot baroque de stupre, pour notre plus grand plaisir... et c'est délicieusement transgressif.

Dans ce jouissif roman gothique, on assiste aux amours contrariées de petites oies blanches avec leurs soupirants chevaleresques, le tout sur fond de noeuds généalogiques, poncifs du roman au XVIIIe siècle ("Ton père est ton frère et ta mère est ta nièce !"), de souterrains lugubres, de pâmoisons répétées et d'ignobles prédateurs sexuels.

Dans une Espagne de carton pâte, au coeur d'un quartier madrilène où règnent superstitions et bigoterie, les espoirs et rêveries des mignonnes Antonia et Agnès ou les passions maîtrisées des munificents Lorenzo de Medina Céli et Raymond de Las Cisternas apparaissent bien pâlichons à côté des noirs desseins qui animent une poignée de sublimes fanatiques.

En effet, Lewis a engendré quelques fascinantes figures maléfiques qui occupent une place fort enviable au panthéon des monstres de papier. Avec Ambrosio, le moine du titre, ascétique par calcul et vaniteux par nature, il a créé un Tartuffe effrayant : beau, ténébreux, le vierge prédicateur, une fois initié aux plaisirs de la chair par une Lilith séductrice, la lascive Matilda, s'enfonce dans une débauche infernale où meurtre et viol ont la part belle. Priapique pernicieux, il flirte avec Lucifer et multiplie sophismes et airs de chattemite.

Autre créature perverse, la troublante Matilda qui,dissimulée sous la défroque du novice Rosario, adule Ambrosio sans lui révéler, tout d'abord, son sexe. L'attraction fortement teintée d'homo érotisme qui rapprochent les deux moines se mue en copulations frénétiques une fois les robes de bure jetées aux orties. Empoisonnée par un scolopendre (on pense au serpent et à Ève tentatrice), elle n'hésite pas à vendre son âme au Diable pour vaincre la mort et asservir son amant, l'abîmant toujours plus profond dans les béances du Mal.

Enfin, noire cerise sur ce gâteau létal, Lewis, anti catholique revendiqué, enfante en la personne de Mère Sainte Agatha une religieuse impitoyable, abusant du harcèlement et se repaissant de la souffrance de ses victimes. Ne reculant devant ni l'infanticide, ni le supplice, elle coiffe au poteau (de torture) l'infâme Mère Christine de Diderot (cf. La Religieuse).

L'habile romancier pimente encore cette avalanche de labyrinthes, de cimetières, de cryptes secrètes, de cadavres putrescents et de nuits insondables, de balades en vers, d'anecdotes horrifiques (entre Nonne sanglante, Juif errant et Auberge rouge), d'un matricide et d'un inceste involontaires, d'opiats délétères (ancêtres du GHB) et de clins d'yeux désopilants (les élucubrations d'une vieille fille hâbleuse, Leonella Dalfa, ou les gloutonneries nymphomanes de la Baronne de Lindenberg).

Rien d'indigeste cependant, bien au contraire, dans cet étonnant récit, au style impeccable, à la narration très contemporaine avec ses arrêts sur images ou ses actions simultanées, qui marie Sturm und Drang et théâtre élisabéthain : on le dévore avec gourmandise, on s'en pourlèche, on s'en délecte. Un régal dont la fin s'élève jusqu'au sublime avec un pas de deux au bord du gouffre entre Satan en personne et un disciple mystifié.

Un grand coup de coeur !
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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