À Venise, le théâtre est une véritable religion, la scène captive et focalise tous les regards, toutes les attentions...
Mes idées ne germent pas dans ma tête. Pas plus qu’elles ne tombent du ciel. Elles fermentent dans les parties les plus intimes de mon corps, puis elles se chargent de désirs, de passions, alors seulement, elles infusent jusqu’à l’esprit.
– Pourquoi ? Publier des romans est-il si différent que faire jouer des comédies ?
– Contrairement à la littérature, le fiasco ou le triomphe sont immédiats au théâtre. Dans une heure, nous serons applaudis ou hués. Encensés ou conspués. Et c’est très bien ainsi. Jamais je n’aurais eu la patience d’attendre le succès ou l’échec d’un livre pendant des mois ou des années.
Vous savez comme moi que la République de Venise est la plus hypocrite qui soit en Europe. La débauche est ici répandue plus que nulle part ailleurs, mais les hommes au pouvoir feignent de l’ignorer. Chacun y trouvant d’ailleurs son content. La plupart des sénateurs et des inquisiteurs d’État mènent comme moi une vie dissolue, leurs mœurs sont corrompues, mais nul ne s’en vante ouvertement. Toutefois, dès lors que le libertinage s’affiche dans les arts ou les belles lettres, il est aussitôt passible du cachot et…
Un plaisir est plus grand quand il est prohibé
Plutôt qu’encouragé. Voici pourquoi j’avance
Que le pape a raison avec ses ordonnances
De défendre d’aimer une femme mariée
Car le fruit qu’elle tend loin du lit conjugal
À bien plus de saveur qu’une agape royale.
Les petits mensonges qui précèdent l’amour, sont les plus innocents.
Je n’ai pas quitté mon poste un seul instant. On me paie pour cela et nul ne s’est jamais plaint de mon travail. Chaque soir, des spectateurs essaient de s’introduire dans les coulisses. Certains pour parler aux comédiennes, d’autres pour en découdre : la plupart du temps, ils sont envoyés par des patriciens, des banquiers ou que sais-je encore, bref, des hommes qui se sont reconnus dans l’un des personnages tournés en ridicule sur la scène et qui…
Je me fous des directives, des arrêtés et des règlements qui changent chaque semaine. Je n’ai nul besoin de loi pour savoir que le meurtre, la torture, l’enlèvement sont interdits. Tout comme le viol. Est-il d’ailleurs un plus grand crime que celui de prendre une femme par la force, alors qu’il est si beau de la séduire, de la charmer, de la voir s’abandonner à l’amour en riant ou en écoutant un poème, un conte… Allons, concentrons-nous sur les faits importants, tout le reste m’ennuie.
Le mal n’est pas grand : ces deux pauvres bougres offrent quelques heures de liberté aux galériens et ils prennent au passage un peu d’argent à la République. Moins de cent ducats pour un tel travail, ce n’est pas cher payé. Chaque année, n’importe quel sénateur dérobe mille fois plus à l’État. Qu’on les relâche !
Quand bien même vous seriez vêtu de loques je vous aimerais tout autant. Vos manières raffinées, votre conversation plaisante, vos goûts exquis m’ont déjà séduite. Et je suis si heureuse d’avoir trouvé un prétendant qui ne cherche pas à m’épouser pour mon argent.