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Critique de Nastasia-B


La Petite Roque devait être, je crois, le seizième ou dix-septième recueil de nouvelles de Guy de Maupassant que j'abordais, et pourtant je puis vous dire qu'il me fit forte et bonne impression. Neuf nouvelles seulement, mais pas moins de trois joyaux (selon mes critères de désignation du " joyau ").

La nouvelle titre est une nouvelle en deux temps (donc en théorie, plus une nouvelle stricto sensu, mais on s'en fiche de la théorie), qui débute comme un polar et qui bascule dans le thriller psychologique. Particulièrement bien écrite, on sent que son auteur a cherché à la peaufiner plus que d'autres. La première partie pourrait, à l'extrême, se résumer par " Qui donc a bien pu assassiner la petite Roque ? " La seconde ne doit absolument pas être dévoilée sous peine de nuire gravement à sa lecture. En tout cas, un chef-d'oeuvre.

L'Épave raconte un instant, un bref instant, même pas une nuit complète — un bout d'après-midi et une portion de nuit — où deux êtres se sont croisés, se sont émus et se sont dit adieu. Comme écrivait Baudelaire, une manière de " Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ". Maupassant excelle dans ce périlleux exercice de la capture d'un instant et des émotions qui l'accompagnent.

L'Ermite nous pose indirectement une question : " Quel drame, quel événement inavouable, quelle peine de corps ou de coeur peut bien expliquer qu'un humain choisisse spontanément la réclusion hors du monde ? " Cette nouvelle me rappelle un peu le Port dans le recueil La Main Gauche.

Mademoiselle Perle est, quant à elle, l'un de ces inappréciables petits trésors nés sous la plume de l'auteur, qu'il nous a légué en guise d'héritage et que nous devons chérir. Un drame sublime, sans violence, en douceur, tout en doigté et en subtilité. Un velours, une façon quant à elle de " Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui NE le savais PAS ". Probablement l'une des toutes meilleures nouvelles de Guy de Maupassant, tous recueils confondus, vraisemblablement du calibre de Madame Baptiste.

Rosalie Prudent, ce n'est presque rien (c'est ironique, bien sûr), juste le conte d'un infanticide ordinaire perpétré par une pauvre fille sans le sou. L'une des fables horribles du quotidien dont il savait si bien se faire l'écho.

Sur Les Chats est un vague éloge de la condition féline.

Madame Parisse est une x ième nouvelle sur l'adultère et la passion contrariée.

En revanche, Julie Romain est plus intéressante. Elle aussi évoque un thème de prédilection de son auteur, à savoir, l'outrage du temps qui passe, les abîmes qu'il crée, et autres effets de la nostalgie. Ici, Julie Romain est une ancienne actrice, ancienne convoitée, ancienne égérie tant d'un peintre en vue que d'un poète de renom, tous deux aujourd'hui disparus. Ne reste qu'elle, elle que son public a oublié, elle, flétrie, amoindrie, méconnaissable, elle dont seuls les souvenirs ont le lustre d'antan. Quelle sensibilité Monsieur de Maupassant. Chapeau bas l'artiste.

Enfin, cerise sur le gâteau, la somptueuse Père Amable, qui nous dépeint l'archétype du vieux paysan normand, vieillard taiseux, avare mais fier, à l'instar du Père Milon. Encore l'une de ces scènes de rien de la vie paysanne normande, qu'on pourrait vulgairement classer dans la catégorie " faits divers ", mais racontée avec tellement de force et de conviction qu'elles en deviennent célestes, éblouissantes... maupassantesques si j'ose dire !

À noter, et c'est là la substantielle supériorité des nouvelles normandes par rapport aux autres de l'auteur, la vérité du parler. Pour être native de ces contrées normandes, je puis vous affirmer (au travers de ces deux exemples pris au hasard dans le Père Amable) que l'emploi (dans le fil de la narration et non entre guillemets) du mot " colère " en qualité d'adjectif ou celui de " cour " pour désigner un pré ont un parfum de terroir authentique. Pour moi, Maupassant est avant tout l'interprète des réalités régionales, le Pagnol ou le Steinbeck normand, en quelque sorte.

Mais tout ce bavardage, toute cette inutilité n'est que mon avis, fragile, friable, érodable, c'est-à-dire pas grand-chose. le mieux que vous ayez à faire est d'oublier ce commentaire et d'ouvrir La Petite Roque, car ça c'est vraiment du roc.
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