Citations sur La crique du Français (L'Aventure vient de la mer) (31)
« – En Bretagne, il existe une maison, dit-il, où une fois, vivait un homme, nommé Jean-Benoît Aubéry. Il se peut qu’il y retourne, et recouvre les murs nus de sa demeure de dessins d’oiseaux, de portraits de son mousse. Mais à mesure que passeront les années, ceux-ci pâliront et s’effaceront.
– Dans quelle partie de la Bretagne se trouve la maison de Jean-Benoît Aubéry ? demanda-t-elle.
– Dans le Finistère, ma Dona, répondit-il. Ce qui signifie, la fin de la terre.
Et Dona évoqua les falaises rousses, l’arête déchiquetée du promontoire, le grondement des vagues déferlant contre les rochers, le cri des mouettes, le soleil ardent frappant les falaises, desséchant, brûlant l’herbe rase, ou le doux vent d’ouest, tout enveloppé de brouillard et de pluie.
– Comme un éperon de roches dentelées, elle avance dans l’Atlantique, dit-il. Nous l’appelons la pointe du Raz. Aucun arbre, aucun brin d’herbe n’y poussent. Jour et nuit, elle est battue par tous les vents. Au large, non loin, deux marées se rencontrent ; sans cesse, perpétuellement, le ressac y bouillonne, dans un formidable rejaillissement d’embruns et d’écume… »
Je me demande, dit-il, à quel moment, le monde s'est mis à aller de travers, à quel moment, les hommes ont oublié comment vivre, aimer, être heureux ?
On fait aux Français une réputation de galanterie bien injustifiée. Nous sommes beaucoup plus timides qu'on ne le croit ici...
« la délicieuse folie de cette lointaine mi-été qui, pour la première fois, fit de la crique un refuge et un symbole d’évasion. » (p. 13)
Les actes les plus simples même, comme de boire, de manger, de dormir, étaient devenus pour elle une source de tranquille jouissance, de nonchalant plaisir.
— Est-il vraiment possible de devenir quelqu'un d'autre ?
— J'en ai fait l'expérience.
— Et êtes-vous heureux ?
— Je suis content !
— Quelle est la différence ?
— Vous me prenez au dépourvu. Ce n'est pas facile à expliquer. Le contentement est un état où le corps et l'esprit travaillent harmonieusement, sans friction. L'esprit est en paix, le corps également ; ils se suffisent à eux-mêmes. Le bonheur est fugace, n'apparaît souvent qu'une fois dans une existence ; il ressemble à l'extase.
Comme le silence se prolongeait entre eux, elle se demanda si toutes les femmes, quand elles aiment, sont ainsi déchirées entre le désir, abandonnant toute pudeur, toute réserve, d'avouer leur amour, et la volonté farouche de le cacher, de se montrer froides, distantes, parfaitement détachées, de mourir, plutôt que d'admettre un sentiment aussi personnel, aussi intime.
- Je ne me souviens pas de vous, dit-elle. Vous n'étiez pas ici, la dernière fois que nous sommes venus?
- Non, Milady, répondit-il.
- Il y avait alors un vieillard, - j'oublies son nom. Il était perclus de rhumatismes et pouvait à peine marcher; qu'est-il devenu?
- Il est dans sa tombe, Milady!
- Ah !
Je me demande, dit-il, à quel moment le monde s'est mis à aller de travers, à quel moment les hommes ont oublié comment vivre, aimer, être heureux ?
Il sait que ceux qui, dans notre monde, veulent mener une existence normale, sont contraints par des habitudes, des coutumes, des obligations, qui finissent par tuer toute initiative, toute spontanéité. L'homme n'est plus alors qu'un engrenage, qu'une fraction de machine. Rebelle, hors la loi, libre de toutes chaînes, le pirate, par contre, échappe aux règles humaines.