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Critique de maevedefrance


Traduit par Jane Fillion

Qui était vraiment Branwell Brontë ? Si nous connaissons beaucoup de choses sur ses trois célèbres soeurs, nous ne savons finalement pas grand chose sur l'unique fils du révérend Patrick Brontë. La postérité nous a renvoyé l'image d'un homme orgueilleux, vaniteux, imbu de lui-même, alcoolique, drogué, fou et celui d'un raté. Pas vraiment de quoi avoir envie de le connaître davantage, a priori. Pourtant, la première à s'intéresser au jeune homme est Elizabeth Gaskell, qui a donné le "virus" à Daphné du Maurier.

La célèbre Anglaise livre ici un documentaire dense, riche en références que l'on trouve en annexe du récit.
Etant atteinte de brontemania depuis mes plus jeunes années, ayant dévoré également une bonne partie des romans de Daphné du Maurier, voir le nom des Brontë associé au sien n'a fait qu'aiguiser ma curiosité ! Quant à Branwell à proprement parler, j'avoue que j'en gardais l'image négative véhiculée par la postérité, mais aussi le portrait un peu agacé qu'en fait Charlotte dans ses lettres, d'un frère qu'elle a pourtant toujours aimé, mais qu'elle ne comprenait pas. Je vous invite d'ailleurs à lire l'excellent ouvrage, Lettres choisies de la famille Brontë par Constance Lacroix, chroniqué ici même en mai 2017, qui est très instructif pour qui s'intéresse à cette famille devenue mythique.

Mais qu'est-ce que donc que cette histoire de "monde infernal" ? En fait, Charlotte, Emily, Anne et Branwell, enfants, puis adolescents écrivaient en secret sur les personnes de leur entourage, qu'ils transforment en personnages d'un univers fantasmagorique d'un pays imaginaire nommé Angria, qui se situerait en Afrique. Sachant qu'ils commettent quelque chose de répréhensible, ils appellent leur création "Le monde infernal". Ils s'y projettent eux-mêmes. le petit personnage que vous voyez sur la couverture, c'est Sneaky, un petit de soldat de bois que Branwell reçu en cadeau de la part de son père. Sneaky, ce compagnon d'enfance à qui il va insuffler la vie et qui reposera sur sa tombe, à sa mort en 1848, à l'âge de 31 ans. Sneaky et les autres petits soldats de bois que Branwell va offrir à ses soeurs vont enflammer leur imagination. Les chroniques d'Angria voient le jour. Un bon moyen de s'évader de l'univers confiné dans lequel vit la fratrie. En particulier Branwell, qui, contrairement à ses soeurs, ne sera pas envoyé en pensionnat, en raison de sa santé délicate (tout laisse à penser qu'il souffre de crise d'épilepsie) .
Branwell est complexé et insuffle en Sneaky tout ce qu'il aurait aimé être : "En réalité, ce personnage n'est autre que l'incarnation du héros idéal que Branwell rêvait d'être. Un Branwell qui ne pêcherait pas par sa petite taille; ne porterait pas de lunettes ; ne serait pas instruit à la maison ; ne griffonnerait pas, de la main gauche, poèmes et récits mais serait un homme de plus de six pieds de haut, brun et beau, formentant des révolutions et assommant ses rivaux d'un revers de sa puissante main droite."

Malgré ce physique qu'il n'aime pas, à cette époque, Branwell est un jeune homme plein d'ambition et d'espérance. Tout cela va s'amplifier quand il rencontre l'oeuvre d'un jeune sculpteur, Joseph Bentley Leyland, devenu célèbre à 23 ans.
"Puisque Joseph Leyland était célèbre à 23 ans, pourquoi Branwell ne le serait-il pas aussi ?"
Les deux jeunes hommes deviennent amis. "Branwell rentra à Haworth bouillonnant de projets d'avenir. Il ne parlait plus que de Leyland, d'art et de Londres." Branwell décide de poser sa candidature à la Royal Academy mais ce fut un projet non réalisé dont on ignore la raison, "J'ignore si ce fut sa conduite ou le manque d'argent qui empêcha Branwell d'entrer à la Royal Academy. Peut-être de l'un et de l'autre", déclara Ellen Nussey à Elizabeth Gaskell.
Bref, ça commence mal ! C'est pas grave, Branwell décide de poser sa candidature comme rédacteur au Blackwood's Magazine. Sauf qu'on ne veut pas de lui comme collaborateur ! Il se laisse embarquer par la Franc Maçonnerie, écrit des poèmes qu'il veut soumettre à l'avis du plus grand poète anglais de l'époque : Wordsworth, qui vit non loin de là, dans la région des lacs. Celui-ci ne prend même pas la peine de lui répondre. Wordsworth apparaît ici comme un vieux poète bourru : quand Charlotte lui envoie quasi-anonymement un extrait de ses histoires d'Angria en les transposant dans le Yorkshire, il répondit qu'"il n'avait pu discerner si l'auteur était un clerc de notaire ou une modiste grande dévoreuse de roman" ! :)

Branwell décide alors de partir à Bradford pour gagner sa vie comme portraitiste. Cela fonctionne pendant un an puis nouvel échec (les tableaux qu'il a réalisé sont au presbytère et à la National Galery de Londres).
Il tente alors d'être précepteur et échoue une nouvelle fois. Il s'engage dans la compagnie des chemins de fer de Leeds, histoire au moins de gagner sa vie et de s'assurer une certaine sécurité matérielle. "Le fait est qu'il fut engagé (...). A la fin du mois de septembre 1840, Branwell devint préposé au guichet de Sowerby Bridge". Sans doute aurait-il réussi s'il n'avait pas été quelqu'un d'influençable, mais ce fut bien dommage qu'il ait un chef de gare alcoolique qui l'entraîna dans son vice alcoolisé ! Muté à Liverpool, il rencontre les Irlandais qui ont une grosse partie de la population de la ville. "Oui, il était le frère de ces innombrables Irlandais, des hommes certes doués, pourtant des ratés, qui dans leur pays natal se contentait de rêver leur vie sans arriver à rien, et qui, transplantés, se perdent corps et âmes". Ses frères de sang (la grand-mère maternelle des enfants Brontë était irlandaise et catholique) ne l'aident pas à trouver le chemin de la réussite...
Il finit par se faire renvoyer de la compagnie des chemins de fer car il manque de l'argent dans la caisse.

Je ne vais pas vous raconter toutes les mésaventures de Branwell, qui au-delà de sa malchance, s'enferme tout seul dans une vie infernale en faisant les mauvais choix. le Branwell que décrit Daphné du Maurier m'a fait mal au coeur. On découvre un être hypersensible, mal dans sa peau, traumatisé par la mort de sa soeur Maria, qui hantera ses nuits tel un fantôme, lui provoquant d'horribles cauchemars. C'est quelqu'un qui perd la foi, en les autres et en dieu à partir du moment où il voit sa tante (qui lui a servi de mère) mourir après d'atroces souffrances.

Branwell Brontë est un être accablé par l'échec, les dettes, la réussite de ses soeurs. Il souffre aussi du regard que son père et Charlotte portent sur lui : un regard plein de déception, quand Emily et Anne sont beaucoup plus discrètes sur ce qu'elles pensent de ce frère qui leur mène une vie infernale quand il est ivre et a pris du laudanum.
Sans doute, Branwell était-il schizophrène, une maladie dont la consommation toujours plus importante d'alcool et de laudanum "ne pouvait que multiplier d'alarmante façon les visions terrifiantes ou paradisiaques qui [le] hantaient". Cette maladie n'était pas connue comme telle à l'époque.

Daphné du Maurier montre comment il a en partie inspiré et sans doute contribué aux Hauts de Hurlevent. C'est juste incroyable ! le début du roman, dans sa toute première version, aurait été écrit conjointement par Emily et Branwell. En tout état de cause, c'est Branwell qui a inspiré l'idée des deux familles de l'histoire. Plus tard, il a affirmé avoir écrit lui-même une partie du roman.

Ce jeune homme succombera un désespoir : "William Brown le découvrit à mi-chemin de la petite pente qui menait de l'église au presbytère. Il était à bout de forces et incapable d'accomplir seul les quelques pas qui le séparaient de sa demeure (...) Branwell ne devait plus quitter le presbytère. Il mourut deux jours plus tard."
"Sur le permis d'inhumer, la mort de Branwell est attribué à une bronchite chronique et au marasme (cachexie)."

Je me suis régalée avec ce livre documentaire qui se lit comme un roman. Il date de 1960 et plaira à tous les fans des Brontë. Je n'ai qu'une envie : retourner à Haworth et chercher Branwell ! On peut remercier Daphné du Maurier de réhabiliter sa mémoire avec ce magnifique roman biographique.

C'était un ouvrage épuisé et c'est une chouette idée de l'avoir rééditée dans la très belle collection "Petit Quai Voltaire", vendu avec un marque-page assorti !
Lien : http://milleetunelecturesdem..
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