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Critique de Colchik


André Maurois est un romancier et biographe tombé dans un relatif oubli aujourd'hui. La relecture de Climats m'a fourni peut-être quelques explications sur la désaffection du public pour cet ancien académicien.
le roman se décompose en deux parties, la première peut être qualifiée de confession, c'est une longue lettre adressée par Philippe Marcenat à sa future femme, Isabelle de Cheverny. La seconde est le récit d'Isabelle, trois mois après la mort de son époux emporté par une pneumonie fulgurante, récit qui revient sur les épisodes heureux et malheureux de son union avec Philippe.
Unique héritier d'un riche papetier du Limousin, ce dernier a grandi dans une famille aimante, mais corsetée par un certain conformisme bourgeois et provincial ainsi que par une réserve quasi maladive. Chez les Marcenat, la discrétion, la pudeur des sentiments et la routine du quotidien sont élevés au rang de vertus. Après des études de droit, Philippe reprend peu à peu les rênes de l'entreprise familiale, menant une vie à la fois mondaine à Paris, et industrieuse à Gandumas, siège de la papeterie et du domaine familial. Au cours de vacances italiennes, il fait la connaissance d'Odile Malet, la fille d'un architecte parisien et, subjugué par sa beauté, sa fraîcheur, il l'épouse très rapidement malgré les réticences des siens. Les Malet ne jouissent pas d'une réputation bien établie, les échecs professionnels du père et la vie sans contraintes du couple et de leurs enfants heurtent le conservatisme de la bonne société parisienne. Très vite Philippe débusque des ambiguïtés dans le comportement de son épouse et commence à être rongé par une jalousie qui empoisonne chaque instant de sa vie conjugale. Il finira par divorcer d'Odile à la veille de la première guerre mondiale. Celle-ci se remariera avec François de Croizant, un officier de marine, puis se suicidera devant l'échec de sa nouvelle union.
Isabelle, quant à elle, se souvient de sa rencontre avec Philippe, de son incapacité à maîtriser ses suspicions sur l'infidélité de cet homme secret, séduisant, amateur de belles femmes. Peu à peu, elle comprend qu'il lui faut l'aiguillon de la jalousie pour qu'il parvienne à manifester la profondeur de ses sentiments. Refusant de céder à la facilité de provoquer cette jalousie pour attiser son amour, elle va essayer de le reconquérir en le détachant des comportements mortifères qui ne peuvent mener leur mariage qu'à l'échec. La maternité, le retour le temps d'un été à Gandumas, la tranquillité des esprits apaisés lui amènent une sérénité qui se brise avec la mort de Philippe.
Avouons-le, le style d'André Maurois est d'une clarté, d'une fluidité qui rendent la lecture de Climats plaisante. Mais ce roman est terriblement daté tant sur le plan des moeurs de la société qu'il décrit, que sur le plan des rapports hommes-femmes qu'il entend décoder. C'est un écrivain formaté par l'esprit du dix-neuvième siècle qui dépeint le microcosme bourgeois, composé d'hommes d'affaires, des hauts fonctionnaires, d'officiers, d'aristocrates qui se retrouvent dans le salon de la tante du narrateur, Cora. On surveille la réputation de chacun tout en s'adonnant à un marivaudage de bon aloi. On va écouter de la musique, on passe une soirée au théâtre, on s'adonne au plaisir de la conversation qui consiste surtout en commérages sur les uns et les autres. Les femmes sont toutes – ou presque – ravissantes quand elles ne se sont pas fanées par quelques maternités. On pourrait pardonner à Maurois cet univers à l'atmosphère raréfiée s'il y ajoutait une touche de satire sociale, donnait quelques coups de croc à cette société momifiée dans les convenances, comme savaient si bien le faire Henry James, Proust ou encore Edith Wharton et André Gide. Mais non, rien de cela.
En ce qui concerne sa peinture des relations entre les deux sexes, là encore nous avons la vision d'un homme fortement ancré dans le passé. Il dresse un portrait peu flatteur des femmes. Odile apparaît comme une femme fragile, frivole, orgueilleuse, inconséquente. Elle passe beaucoup de journées allongée en raison de sa fatigue, fait deux fausses couches, a beaucoup d'essayages, et se montre piquante en société quand elle se souvient surtout des conversations qu'elle a eues avec son époux. Philippe ne la trouve pas intelligente – il s'interroge sans cesse sur ce point – mais son charisme le rend vivant au monde qui les entoure. le mystère dont s'entoure la jeune femme la rend insaisissable, et condamne très vite le bonheur du couple. La seconde union de Philippe tourne également au désastre. Quand Isabelle, sentant croître la distance qui la sépare de son époux, souffre et s'insurge de ses sorties en galante compagnie, il ne change pas son attitude mais lui conseille de modifier la sienne. « Ma pauvre Isabelle » revient comme un leitmotiv quand il la réprimande ou déplore ses faiblesses. Il faut que Mme Marcenat mère insiste pendant leur séjour à Gaudumas pour que le couple partage la même chambre. Ultime humiliation pour Isabelle, pendant l'agonie de Philippe, celle qu'il croit voir à son chevet est Solange Villier, sa dernière maîtresse, et non sa femme.
Est-ce que je prête à l'écrivain les traits misogynes de son personnage par un amalgame peu subtil ? Je ne le pense pas. Il n'y a quasiment aucun personnage féminin qui présente des qualités positives dans le roman. Denise Aubry, la première maîtresse, est une femme légère et très province. Odile est instable. Son amie Misa est décrétée « méchante ». Yvonne Prévost, Françoise Quesnay, Thérèse de Saint-Cast sont de jolies créatures, seulement amusantes. Solange Villier est une séductrice impitoyable (« Solange est une tigresse »), une femme qui « commet des folies » que son mari accepte avec résignation. Isabelle est ennuyeuse et bonnet de nuit. La tante Cora est une pragmatique, obsédée par son salon mondain et ses invités et qui a une idée toute particulière du mariage. Quant aux mères et belles-mères, les premières sont froides et les secondes originales, donc gênantes. Un seul personnage tire son épingle du jeu, Renée, la cousine, l'amie d'enfance : célibataire, elle travaille, aime et est aimée. À bien considérer, la vision qu'a l'auteur des femmes est accablante et ne peut se réduire à la psychologie du principal protagoniste de l'histoire. La jalousie de Philippe est dépeinte comme une impossibilité de fusionner avec l'être aimé dans un amour absolu, tandis que celle d'Isabelle est présentée comme un rétrécissement de sa capacité à aimer l'autre dans sa totalité.
le roman s'achève dans les années vingt sans qu'il s'arrache vraiment aux codes du siècle précédent par une modernité autre que de façade. On mesure ainsi ses limites à dépasser l'époque à laquelle il a été écrit.
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