Que seraient les hommes s'ils n'avaient pas de passion ?
Là, en altitude, il n'y a plus de barrières. Les hommes se livrent tels qu'ils sont. Même les sentiments les plus secrets apparaissent. Quelle expérience humaine que de passer ainsi plusieurs mois avec les camarades que l'on croit connaître et qui se révèlent souvent différents dans la souffrance, dans l'ennui ou dans la joie !
Sans avoir eu besoin de parler, hors les mots techniques nécessaires, nous étions amis ; amitié scellée rapidement par ces premières difficultés vécues ensemble.
Je me trouve seul, bonheur exceptionnel en ce lieu fantastique, personne ne pouvant me rejoindre des camps inférieurs car les conditions sont encore trop mauvaises.
Alors seul, je pense. Que faire d'autre, seul dans sa tente pendant des heures si longues ? Bien sûr, je lis, je tombe sur l'un des Rois maudits − mon ami Druon s'étonnerait peut-être de savoir que je l'ai lu à 6 400 mètres !
Que de nuits merveilleuses passées en ce camp 1. Il nous arrivera de comparer notre tente au Hilton et notre imagination nous conduira à donner des noms à tous les camps futurs, y compris le 6, qui ne verra cependant jamais le jour, et qui pourrait s'appeler «Sheraton Everest » avec vue imprenable, piscine, bain de soleil − artificiel si besoin est.
L'Everest nous usera totalement, nous prendra tout. Nous devenons fous. Je peux dire que pour la première fois j'ai eu peur...
Il entre de l'orgueil dans notre démarche, oui, mais il y a tant d'autres sentiments, tant d'autres motivations. Seule parfois la souffrance peut nous faire hésiter. Alors le souvenir de nos camarades disparus nous rappelle les réalités : ils ont donné leur vie, non point par orgueil, mais par amour pour ce qu'ils faisaient, aussi par goût du risque, aussi l'ivresse de vaincre...
L'élite, le champion sont incitateurs ; un pays qui n'a pas de vainqueurs est un pays qui ne sait plus ce qu'est l'effort.
Hormis nous-mêmes, les sherpas et les porteurs, c'est toute une population qui, au courant de l'expédition, vient voir le toubib. Que de maladies, parfois graves, que de blessés pour Jean-François. Il soigne, il opère -nous espérons qu'il guérit. Combien le Népal a besoin de médecins. Je pense que là, dans ce domaine notamment, la France pourrait jouer un rôle éminent.
Première rencontre pour moi avec les pata-pata. C'est un peu normal que le chef d'expédition fasse le premier connaissance avec ces petites sangsues d'abord à peine perceptibles et qui grossissent à vue d’œil, se gorgeant de votre sang.