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Critique de clesbibliofeel


Dans un premier temps j'ai adoré regarder la couverture sobre et colorée de ce livre qui m'attendait alors que j'avais plusieurs lectures en cours. le rabat présente un portrait de l'autrice tout à fait saisissant par la puissance et la détermination dégagées. Une Imbolo Mbue lumineuse nous propose un roman sincère et convainquant.

Imbolo Mbue est née en 1982 à proximité de Douala, dans la petite partie anglophone du Cameroun, au sud-ouest du pays. A 16 ans elle part pour faire ses études aux États-Unis. Elle dit sa sensation d'être entre deux cultures après avoir lu « les grands auteurs africains » Chinua Achebe, Ngugi wa Thiong'o notamment puis découvert Toni Morrison et Gabriel Garcia Marquez, des références susceptibles d'attiser ma curiosité. Elle a aujourd'hui 38 ans et vit à Manhattan. Son premier roman Voici venir les rêveurs sorti en 2014, immense succès traduit dans de nombreux pays, racontait l'histoire d'une famille camerounaise émigrée à New York. Ce second roman remonte le temps, reviens sur la vie des ancêtres au pays, la vie d'avant les promesses de prospérité venue d'Occident.

Puissions-nous vivre longtemps est l'histoire des habitants d'un petit village d'Afrique, Kozawa, de la période coloniale jusqu'à nos jours. L'autrice est une habile conteuse qui parvient à tresser ensemble tous les fils liés aux divers personnages, aux générations successives, sans que je me sois senti perdu à une seule page et sans que l'intérêt pour la suite ne retombe.

J'aime beaucoup le titre d'origine, en anglais : How Beautiful We Were... La vie heureuse bascule le jour où une multinationale américaine, nommée Pexton, s'installe à proximité du village, polluant l'eau, l'air, les terres de culture et provoquant la mort des enfants... Une lutte opiniâtre va s'organiser. Celle-ci va prendre différentes formes : pacifiques en usant de la diplomatie, utilisant l'appui de journalistes étrangers, d'associations... violentes également en ayant recours à l'enlèvement, la séquestration, la lutte armée et même les tentatives de renversement du régime. Les forces en présences sont inégales et les déboires nombreux, mais au final l'espoir est toujours présent, le titre est là pour nous en convaincre. « Puissions-nous vivre longtemps » appelle une suite que le lecteur doit imaginer en refermant le livre. Je pense à « ... pour connaître la justice, nous libérer de l'emprise des multinationales, pour vivre libres et heureux. »

C'est bien un message d'espoir qui est délivré dans ce récit en partie autobiographique. Imbolo Mbue s'engage à sa façon avec ses écrits comme le fait Thula. Elle règle des comptes avec son pays d'origine et n'est pas tendre avec son président qu'il me semble reconnaître à travers « Son Excellence », même si les despotes cupides, manipulés par des puissances étrangères sont nombreux en Afrique. L'autrice réussit, à travers des lieux fictifs, à en faire des situations emblématiques.

J'ai aimé la façon dont l'autrice nomme les étrangers : Face de lune, le Chétif, le Gentil, le Charmant... En quelques mots les portraits sont établis. J'ai aimé la facilité avec laquelle on passe d'un narrateur à un autre, donnant une idée des différents points de vue possibles.

Thula, cette jeune femme originaire du village, va être remarquée pour son goût pour la lecture. Elle obtient une bourse et part étudier aux États-Unis. Elle devient une des meilleures dans sa discipline tout en côtoyant des milieux politisés lui permettant d'acquérir les connaissances qui lui seront utiles à son retour à Kosawa. La grande force de ce roman est la multitude de chemins empruntés. L'intelligence de Thulla lui fait explorer inlassablement de nouvelles pistes pour trouver une voie de sortie pour son peuple, s'inspirant tout en s'en méfiant des mouvements ayant existé en Amérique et en Europe. Entre utopie et désillusion les questions abondent, rien n'est simple :

Mais aucune naïveté ici. Entre le but à atteindre et la réalité, bien des obstacles se dressent, notamment le manque de fondations du pays.

Le personnage de Thula m'a beaucoup intéressé. Il est charismatique. Cette jeune femme dévouée à la cause des villageois opprimés m'a fait penser à Louise Michel ou à Dolores Ibárruri, aussi surnommée La Pasionaria lors de la guerre d'Espagne. Plus sérieusement j'ai pensé aussi aux mères de la Place de Mai en Argentine dont les enfants ont disparu sous la dictature. Mais la figure principale à laquelle renvoie l'héroïne du livre est sans contestation possible Angela Davis, alliance d'engagement direct et de puissance littéraire. La belle chevelure de l'autrice évoque Angela, très loin des fastes du pouvoir renvoyés par la femme de "Son Excellence", passage très drôle qui cible à n'en pas douter la première dame actuelle du Cameroun, Chantal Biya, et son incroyable chevelure rappelant les monarques d'antan. Voir photos sur internet...

J'avoue qu'aucun nom d'héroïnes africaines ne m'est venu... J'ai pourtant découvert que de nombreuses femmes ont lutté contre le colonialisme : Aline Sitoé Diatta au Sénégal, Kimpa Vita/Dona Beatriz au Congo, M'Balia Camara en Guinée...

Ces quelques notes sont très réductrices d'un récit foisonnant, qu'il est nécessaire de lire dans sa totalité pour en capter la richesse. Je ne suis pas bien sûr d'avoir réussi à le résumer en si peu de place. Ce n'est pas un livre politique dans le sens où il ne théorise pas, chacun conserve sa vérité, c'est un livre de l'humain et du sensible d'où émergent des figures marquantes. Je le conseille sans hésiter, espérant que comme moi, vous l'aimerez !
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Chronique complète avec illustration sur Bibliofeel, lien ci-dessous.

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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