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Critique de Arimbo


Je viens de terminer complètement bouleversé la lecture de ce qui est pour moi un chef-d'oeuvre absolu.
Et quand je m'imagine que ce livre fut publié alors que Carson McCullers avait à peine 23 ans, et après avoir publié l'année précédente Reflets dans un oeil d'or, je suis émerveillé de ce que certaines et certains êtres humains, ils sont peu nombreux ces génies précoces, ont déjà acquis la maturité que d'autres mettront des années à atteindre. C'est un mystère.

J'ai plus qu'un coup de coeur pour ce roman magnifique à tous points de vue: l'humanité profonde qui l'anime, la densité des personnages, la merveille de la construction, la beauté de l'écriture.

Et comme chaque fois que ça m'arrive, mes pensées se bousculent, et il m'est difficile de les ordonner, il y a tant à dire.

D'abord la densité des personnages principaux et même des « seconds rôles ».
Il y a Biff Brannon, le tenancier du Café de New York, un choix de nom bien ironique pour ce modeste troquet. Biff Brannon, l'homme en apparence placide, mais ambigu sur ses préférences sexuelles, observateur plutôt qu'acteur de ce drame.
Les trois autres tourneront autour d'un astre mystérieux, le muet Singer (encore un choix ironique de nom) qui, tel le substitut d'un dieu, recueillera les confidences des protagonistes.
Le Docteur Copeland, un médecin noir, entièrement dévoué à ses patients, dont les espoirs fondés pour un avenir meilleur de ses enfants ont été terriblement déçus, un homme âgé qui s'épuise aussi dans la défense de son « peuple », qui rêve d'une émancipation des noirs par les progrès de leur savoir.
Il y a Jake Blount, l'ouvrier pauvre travaillant dans un manège, alcoolique et violent, poussé par un idéal communiste, et qui voudrait, sans savoir comment faire, et c'est son drame, que les ouvriers se révoltent contre le pouvoir de l'argent, de ces quelques-uns qui l'accaparent.
Il y a le personnage merveilleux de Mick Kelly, adolescente de 14 ans trop grande pour son âge, pleine de vie et de rêves, se réservant un « espace du dedans » pour ses rêves, ses compositions de musique, une jeune fille si touchante, où sans doute, Carson McCullers a mis beaucoup d'elle-même.
Ce trois figures archétypales, mais jamais caricaturales, pleines de complexité, de sensibilité, de densité profonde, tournent “comme les rayons d'une roue dont il serait le moyeu » autour de John Singer, un muet, employé d'un atelier de bijouterie, qui va recueillir leurs confidences et répondre comme il peut, toujours avec bienveillance, à leurs questionnements. Mais tous les trois ne savent pas que Singer vit le drame de la séparation d'avec son ami Antonopoulos, muet comme lui et interné bien loin de là dans un asile.
Et puis autour de ces quatre, gravitent aussi tout un monde grouillant de vie, la famille, des enfants aux parents et grands-parents, les amis, les voisins.
Et toute cette histoire se passe dans l'atmosphère d'une petite ville du sud des États-Unis, sans qu'il y ait, à aucun moment, une image appuyée, régionaliste, sudiste.
Ce qui frappe, c'est la pauvreté, le manque d'argent, l'absence de perpectives, la violence à l'égard des noirs, mais aussi la formidable solidarité, l'amour entre les gens, une humanité qui souffre mais se serre les coudes.
Pour paraphraser (et en changer un peu le sens) la belle et émouvante chanson de Michel Berger dédiée à Tennessee Williams, le grand ami de Carson Mc Cullers,il y a dans ce roman:
« le désir fou de vivre une autre vie
…Tellement d'amour avec si peu d'envie.. »

Je voudrais insister sur la construction magnifique du récit, une première partie à la manière d'une ouverture, se déroulant sur une journée, une deuxième partie se développant sur une année, et une troisième partie comme un épilogue d'un jour. Et la narration à plusieurs voix, qui crée parfois des difficultés, il faut rester attentif, mais vraiment formidable.

Et enfin, l'écriture si belle, si juste, une merveille de concision, mais aussi une merveille de beauté des images, ainsi par exemple, celle du temps qu'il fait, incroyablement au diapason des sentiments.

J'aurais encore tant de choses à écrire, la dimension politique, sociale et quasiment prophétique, le rôle de la musique, etc…, mais je n'en dis pas plus pour vous laisser découvrir cet extraordinaire roman.

Pour finir, je voudrais reprendre à mon compte ce qu'a écrit mon ami Berni qui a fait une superbe critique de ce livre. C'est à quel point la littérature américaine est, à toutes les époques, si riche, variée, et que la lecture d'un auteur ou d'une autrice nous amène à un ou une autre, de Steinbeck à McCullers, de Faulkner à O'connors, d'Hemingway à Carver, de Bradbury à Dick, etc…, tout un champ immense de découvertes et de résonances.
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