Au cours des trente-sept ans qu'elle avait passés dans cette ville, sœur Saint-Sauveur s'était constitué un réseau de gens capables de contourner les nombreuses règles et règlementations - les règles de l'Eglise , les règlements municipaux...
Elle ferait enterrer le mari de cette femme à Calvary. Si tout se passait bien, elle réussirait.
Aucune des soeurs, à cette époque, ne parlait de sa vie avant le couvent, dans ce qu'elles appelaient dédaigneusement le monde. Prononcer ses voeux signifiait laisser tout le reste derrière soi : la jeunesse, la famille et les amis, tout l'amour qui n'était qu'individuel, tout ce qui dans l'existence nécessitait un regard en arrière. La coiffe blanche qu'elles portaient comme des oeillères faisait plus que limiter leur vision périphérique. Elle rappelait aux soeurs qu'elles devaient regarder uniquement leur tâche en cours.
" La vie d'une soeur soignante est l'antidote aux ambitions du diable. Une vie pure et immaculée.
Tous les matins, nous envoyons des sœurs immaculées de part les rues, n'est -ce pas ?
Un tissu propre à appliquer sur le Monde Souffrant ."
Les deux soeurs qui avaient apporté les provisions, Soeur Lucy et une jeune religieuse dont elle ne se rappelait pas le nom, étaient toujours là, assises côte à côte sur le sofa, endormies dans leurs capes noires bouffantes telles deux mouettes sur un quai.
Il retira sa casquette et lissa ses cheveux en arrière, ce qu'il en restait. Son pauvre crâne dégarni la remplit d'une pitié émue, d'une affection bienveillante. C'était le crâne délicat d'un nouveau-né ; un rappel qu'il n'était pas jeune.
Deux étages plus haut, le père de Patrick ronflait. Certaines nuits, M. Tierney aurait pu soulever le toit avec ses ronflements.
Sally comprit au moins une chose au cours de la semaine qui suivit : soeur Lucy vivait avec un petit noeud serré de colère au milieu de la poitrine.
...toutes les employées du salon de thé devaient se laver les mains à l'ammoniaque, ordre de l'inspecteur sanitaire. Elle s'écouta proférer ce mensonge, amusée, mais pas surprise de se découvrir capable d'une petite cruauté de ce genre. Elle remua les mains dans l'eau qui refroidissait vite. Se cura les ongles puis remua de nouveau les mains.
"Il y a beaucoup de maladies qui se baladent. Ils veulent qu'on fasse attention".
Son sourire était aussi lisse que de la peinture.
De l'intérieur de sa coiffe blanche, ses petits yeux, les petits yeux délavés d'une vieille femme, passaient sur nous. Une seconde, quelque chose d'affectueux, de joyeux même, en chassa le chagrin, mais une seconde seulement. Quand l'ombre grise revint, nous reconnûmes en elle non pas une lueur transitoire, aussi brève qu'un clignement d'yeux, mais une douleur qui avait toujours été là dans le cher et vieux visage. "Dieu, connaît mon cœur, dit-elle. Donc, je n'ai pas besoin de Lui demander son pardon, voyez." (p281)