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Critique de Arakasi


Nombreux sont les romans d'espionnage qui ont été écrits sur la Guerre Froide et, après plusieurs décennies de coups fourrés et de machinations littéraires, on pourrait penser le sujet à peu près épuisé. Ecrivain de tous les défis, Ian McEwan relève le gant en se penchant sur un aspect du conflit généralement ignoré du grand public, « la guerre douce », ou plus précisément la guerre culturelle. Lancée au début des années 70 par le MI5, l'opération Sweet Tooth poursuit un but fort simple en apparence : promouvoir la littérature anti-communiste en subventionnant discrètement des écrivains prometteurs partageant l'idéologie du gouvernement britannique. Mais, comme c'est généralement le cas dans le petit monde tortueux des services secrets, les buts simples entrainent forcément des moyens compliqués. Plutôt que d'offrir directement ses services financiers et prendre le risque de se faire botter les fesses et renvoyer par l'entrée de service (que voulez-vous ? Lutter contre le totalitarisme, c'est bien, mais pactiser avec les infâmes services secrets, c'est mal…), le MI5 préfère mettre en place une fausse association littéraire, la FIF ou « Fondation Internationale pour la Liberté », pour approcher les jeunes auteurs trop ombrageux.

Serena Frome, jeune employée du MI5 toute fraiche sortie de l'université et lectrice passionnée, est la candidate idéale pour cette entreprise de manipulation culturelle. Sûre de son bon droit et pleine de vertueuse motivation – Luttons tous ensemble contre le dragon soviétique, youpladou ! – elle se lance avec enthousiasme dans sa tâche : approcher Tom Haley, un brillant mais fauché jeune romancier, pour le convaincre d'accepter l'aide financière de la FIF. Serena va s'acquitter fort bien de sa mission, si bien d'ailleurs qu'elle ne tarde pas à lier avec Haley des relations allant bien au delà de la simple sphère professionnelle…

Le MI5 grince des dents, mais pas trop tout de même, car l'opération est trop bien lancée pour être interrompue pour une simple amourette, même si celle-ci se fait aux frais du gouvernement. Et puis, franchement, vous pensiez vraiment que l'on engageait des jeunes filles sexy juste pour leur amour de la littérature, vous ? Encore faudrait-il que Haley fasse convenablement ce que l'on attend de lui ! Car si notre séduisant romancier se contentait d'arroser sa charmante maitresse de cadeaux et de boire du champagne au lieu de pondre le chef d'oeuvre anti-communiste espéré, ce serait vraiment un comble, pas vrai ?

A l'instar de l'avant dernier roman de Ian McEwan « Solaire », « Opération Sweet Tooth » est avant tout une comédie sociale délicieusement venimeuse, racontée avec un humour grinçant et un sens du portrait typiquement britanniques. Aussi attachants que soient les personnages – et quel lecteur ne s'attacherait pas un tant soit peu à la rêveuse Serena, elle-même lectrice compulsive, malgré sa naïveté parfois agaçante ? – , force est de reconnaître qu'ils inspirent plus facilement l'amusement que la compassion. On pourrait même soupçonner McEwan de prendre un plaisir un brin sadique à manipuler ainsi ses personnages, marionnettes propulsées d'un bout à l'autre du roman au gré de leurs désirs souvent inavouables. Plus encore qu'un roman d'espionnage ou même qu'un roman d'amour, « Opération Sweet Tooth » est surtout un récit sur le pouvoir de l'illusion et du mensonge, ainsi qu'une réflexion savoureuse sur le processus de création d'une oeuvre littéraire. Avec finesse et une bonne dose d'auto-dérision, Ian McEwan renvoie les figures du romancier et de l'espion dos à dos, tous deux étant des mystificateurs professionnels et, au fond, aussi peu recommandables l'un que l'autre.

Bien que ne se classant pas parmi mes livres préférés de Ian McEwan – les personnages, ainsi que le style littéraire, m'ont semblé moins fouillés quand dans la plupart de ses oeuvres précédentes, même si cette particularité est brillamment justifiée par un ressort de l'intrigue – , « Opération Sweet Tooth » n'en reste pas moins un roman à tiroirs tout à fait réussi et un excellent moment de lecture. Vivement le prochain !
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