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Citations sur Inaccessibles, tome 1 : La tour aux mille étages (30)

C’était entièrement la faute du père d’Eris. Le dix-huitième anniversaire de la jeune fille approchait et, ce jour-là, elle avait dû rendre visite à l’avocat de la famille pour remplir les formalités liées à son fonds fiduciaire – une activité excessivement ennuyeuse qui consistait à signer des tas de documents en présence d’un témoin officiel, ainsi qu’à passer un test ADN et se soumettre à un dépistage de drogue. Elle n’avait pas compris grand-chose hormis le fait que, si elle faisait tout ça, elle serait riche un jour.

La famille de son père avait inventé la technologie de répulsion magnétique qui permettait de maintenir les hovers en l’air, si bien qu’ils nageaient dans le fric depuis plusieurs générations. Everett Radson n’avait fait qu’augmenter une fortune déjà colossale en devenant le chirurgien plastique le plus célèbre du monde. Il n’avait commis que deux erreurs dans sa vie, deux divorces coûteux avant de rencontrer enfin la mère d’Eris lorsqu’il avait quarante ans et elle vingt-cinq, et qu’elle travaillait comme mannequin. Il ne parlait jamais de ses mariages précédents et, puisqu’il n’avait pas eu d’enfants avant elle, Eris ne l’interrogeait jamais sur le sujet. Pour être franche, elle préférait ne pas y penser.
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Leda n’était pas aussi bonne skieuse que les autres, mais elle avait gobé une pastille d’adrénaline pendant la montée et elle se sentait bien, presque aussi bien que quand elle piquait les meilleurs comprimés de sa mère. Elle avait suivi Atlas en faisant de son mieux pour ne pas se laisser distancer. Elle adorait la façon dont le vent griffait sa combinaison en polyduvet, et n’entendait rien d’autre que le sifflement de ses skis sur la neige et, par-dessous, l’écho grave du vide. Elle avait songé que, vraiment, ils tentaient le diable en filant dans l’air rare du glacier à la lisière du ciel.

Puis Avery avait hurlé.

La suite se brouillait dans son esprit. Leda avait tâtonné à l’intérieur de son gant pour enfoncer le bouton rouge d’urgence qui appellerait son drone-ski, mais déjà, celui d’Avery ramassait la jeune fille quelques mètres plus loin, sa jambe formant un angle horrible.

Le temps que ses amis regagnent la suite au dernier étage de l’hôtel, Avery se trouvait déjà à bord d’un jet qui la ramenait à la maison. Elle se rétablirait très vite, leur avait assuré M. Fuller ; elle avait juste besoin qu’on ressoude son genou, et il voulait qu’elle voie les meilleurs experts de New York. Leda savait ce que ça signifiait. Après l’opération, Avery se rendrait au cabinet d’Everett Radson pour qu’il efface la cicatrice au microlaser. Que Dieu la préserve de la moindre marque sur son corps parfait.

Plus tard ce soir-là, les autres jeunes faisaient trempette dans le jacuzzi de la terrasse et se passaient des bouteilles de crème de whisky glacée en portant des toasts à Avery, aux Andes et à la neige qui commençait à tomber. Comme cette dernière s’épaississait, ils avaient fini par grommeler en signe de protestation et par se replier dans leur lit. Mais Leda, qui était assise près d’Atlas, n’avait pas bougé, et lui non plus.

Elle le désirait depuis des années, depuis qu’Avery et elle étaient devenues amies, depuis la première fois qu’elle l’avait rencontré chez les Fuller, quand il les avait surprises en train de chanter des chansons de Disney et que, de honte, Leda avait viré à l’écarlate. Mais jamais elle n’avait pensé avoir la moindre chance avec lui. D’une part, il avait deux ans de plus qu’elle, d’autre part, c’était le frère d’Avery. Jusqu’à cet instant où tout le monde avait déserté le jacuzzi et où Leda avait hésité en se demandant si, peut-être, avec un peu de chance… Elle avait une conscience aiguë de son genou qui effleurait celui d’Atlas sous l’eau, déclenchant des picotements le long de tout son flanc gauche.

– Tu en veux ? murmura le jeune homme en lui passant la bouteille.

– Merci.

Leda se força à détacher son regard des cils d’Atlas, auxquels des flocons de neige s’accrochaient telles de minuscules étoiles. Elle but une longue gorgée de crème de whisky. L’alcool sucré comme un dessert coula tout seul dans sa gorge en laissant une brûlure dans son sillage. La tête de Leda lui tourna à cause de la chaleur du jacuzzi et de la proximité d’Atlas. Peut-être les effets du comprimé d’adrénaline ne s’étaient-ils pas tout à fait dissipés, ou peut-être était-ce sa propre excitation qui la rendait étrangement audacieuse.

– Atlas, dit-elle doucement.
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Ils arrivèrent au niveau de la Tour. Un moment, l’hélico tangua comme s’il était ivre à l’entrée de l’hélipad du 700e étage ; même avec ses stabilisateurs, il peinait à maintenir sa position au milieu des bourrasques qui cinglaient la Tour. Puis, d’une dernière poussée, il se propulsa à l’intérieur du hangar et se posa.
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Mais à cette seule idée, Leda agrippa le siège sous elle jusqu’à ce que ses jointures blêmissent. Elle ne pouvait pas faire ça, ne pouvait pas révéler une telle faiblesse à sa meilleure amie si parfaite. Bien sûr, Avery ne se moquerait pas d’elle, mais Leda soupçonnait que, dans le fond, elle la jugerait, et qu’elle la traiterait différemment à partir de cet instant. Elle ne pourrait pas le supporter.
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Mariel resta plantée dehors, dévisageant Eris d'un air perplexe.
_ Qu'y a-t-il ? Tu ne veux pas que je reste ? s'inquiéta Eris .
Mariel secoua la tête.
_ Non c'est juste que… chaque fois que je crois t'avoir cernée, tu me fais quelque chose d'inattendu.
Eris rit.
_ Bonne chance pour réussir à me comprendre. Je n'y suis toujours pas arrivée, et ça fait dix huit ans que j'essaie!
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Apercevant Avery et Eris ensemble au milieu de la salle, elle fut momentanément submergée par une jalousie familière. Avery était parfaite comme toujours. Mais Leda enviait aussi Eris, qui pouvait se tenir là dans une robe en cuir beaucoup trop courte et avoir quand même l'air d'être la reine du monde. Sa façon de bouger, l'assurance qu'elle exsudait, le mépris hautain qui résonnait dans chacun de ses ordres… Leda serait morte plutôt que de l'avouer mais, en cinquième, elle essayait d'imiter les gestes d'Eris devant sa glace. Et elle n'y arrivait jamais.
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Ils pénétrèrent dans la salle des machines et, soudain, Rylin n’entendit plus que la musique électronique qui percutait violemment son crâne, oblitérant toute autre pensée. Lux lui agrippa le bras et se mit à sauter dans tous les sens comme une hystérique en criant quelque chose d’inintelligible.
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Les bruits de l’extérieur s’évanouirent instantanément, remplacés par un murmure de voix et de rires pâteux, ainsi que par le souffle de l’air recyclé montant depuis les fondations de la Tour. Ils se trouvaient sous le rez-de-chaussée, dans un espace étrange et sombre plein de tuyaux et de colonnes métalliques. Rylin et Lux se déplaçaient furtivement parmi les ombres, saluant du menton les autres jeunes qu’elles croisaient. Un petit groupe d’ados étaient pelotonnés autour de la lueur rosâtre d’un hallucilum. D’autres, à moitié dévêtus et vautrés sur un tas de coussins, s’apprêtaient visiblement à entamer une orgie d’Oxytose. Un peu plus loin, Rylin aperçut l’éclat reconnaissable de la porte de la salle des machines et allongea le pas.
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Rylin garda le silence. Hiral lui prit la main, et elle le laissa faire. Il avait les paumes calleuses à cause de son boulot, et des traces noires sous les ongles. L’année précédente, il avait lâché le bahut pour travailler en tant que technicien et réparer de l’intérieur les ascenseurs massifs de la Tour. Il passait ses journées suspendu des centaines de mètres dans les airs telle une araignée humaine.
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Le lendemain matin, elle entra dans la cuisine d’un pas sautillant, les cheveux encore humides de la vapeur du jacuzzi, le souvenir des caresses d’Atlas gravé sur sa peau comme un tatouage à l’encre indélébile. Mais il n’était plus là.

Il avait pris le premier jet pour rentrer à New York – et se rendre au chevet de sa sœur, selon leur père. Leda avait acquiescé calmement mais, à l’intérieur, elle avait la nausée. Elle connaissait la véritable raison du départ d’Atlas. Il l’évitait. D’accord, avait-elle songé, un tourbillon de colère engloutissant sa souffrance. Elle allait lui montrer. Elle aussi, elle se ficherait de ce qui s’était passé entre eux.

Mais elle n’avait jamais eu l’occasion de lui prouver son indifférence. Atlas avait disparu plus tard dans la semaine, avant la reprise des cours, alors qu’il aurait dû entamer le troisième trimestre de son année de terminale. Sa famille l’avait recherché de manière aussi frénétique que brève, s’interrompant en apprenant que le jeune homme allait bien.

Presque un an plus tard, la disparition d’Atlas n’intéressait plus personne. En public, ses parents la traitaient comme une lubie juvénile dont on ne pouvait que rire. Combien de fois Leda les avait-elle entendus, durant un cocktail, affirmer qu’il avait pris une année sabbatique pour parcourir le monde, et qu’ils en avaient eux-mêmes eu l’idée ? C’était leur version des faits et ils s’y tenaient, mais Avery avait raconté la vérité à Leda. Les Fuller ignoraient où se trouvait leur fils et même s’il rentrerait un jour. Atlas appelait régulièrement sa sœur pour la rassurer, mais en cryptant le point d’origine de son appel, et toujours quand il s’apprêtait à changer d’endroit.

Leda n’avait jamais avoué à Avery ce qui s’était passé cette nuit dans les Andes. Elle ne savait pas comment aborder le sujet depuis la disparition d’Atlas, et plus longtemps elle gardait son secret, plus c’était difficile. Ça lui faisait mal de penser que le seul garçon à qui elle ait jamais tenu s’était littéralement enfui après avoir couché avec elle. Leda tentait d’entretenir sa colère contre lui, parce que c’était toujours mieux que de souffrir bêtement. Mais même la colère ne suffisait pas à faire taire la douleur sourde qui pulsait en elle chaque fois qu’elle pensait à lui.
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