- Ce sont les agissements des militaires qui vous ont poussée à la résistance, ce n'était pas la volonté d'indépendance [de votre pays, l'Algérie] ?
- Pour moi, c'était mêlé. Mais l'enfermement de mon père [arrêté, torturé, emprisonné pendant 2 ans] a été le déclencheur. Il y avait aussi toutes ces personnes, comme mon institutrice, qui perpétraient des injustices tous les jours.
- Vous semblez regretter vos actes ?
- Je regrette de ne pas avoir eu le choix... Mais je ne regrette pas d'avoir participé à l'indépendance. L'indépendance, c'est la liberté. Et c'est important de se battre pour la liberté.
- Mon père a été soldat en Algérie, mais il n'en parle pas comme vous... Je crois qu'il n'a pas la sensation d'avoir participé à un combat honorable comme le combat des Algériens.
- Alors il doit en parler. La résistance, c'est s'exprimer sur des sujets qu'on veut taire.
(p. 56-57)
Au début de la guerre, le FLN demandait l'indépendance. Nous, on voulait pas chasser le gouvernement français. On voulait seulement les mêmes droits.
(p. 81)
Puis il y a eu le cessez-le-feu dans toute l'Algérie.
« La conclusion du cessez-le-feu en Algérie, les dispositions adoptées pour que les populations y disposent de leur destin ; la perspective qui s'ouvre sur l'avènement d'une Algérie indépendante, coopérant étroitement avec nous, satisfont la raison de la France. » (discours du général De Gaulle du 18 mars 1962).
A l'annonce du cessez-le-feu, la fête a vite laissé place aux massacres et à la folie. Chaque matin, je trouvais des corps décapités, laissés à la hâte à même le sol.
Le monde était devenu fou : on tuait pour un rien, pour un regard, pour une couleur de peau. Pour chaque meurtre d'un Algérien, on tuait dix Français et inversement.
C'était la spirale infernale de l'horreur. On entendait les coups de feu le jour partout en ville. Et il fallait faire semblant de ne rien voir si on ne voulait pas être le prochain sur la liste.
L'OAS, l'organisation clandestine des Français contre l'indépendance, sentait venir la fin et voulait tout saboter avant de s'en aller. Il y a eu l'attentat du port, celui de la bibliothèque, tout était plastiqué...
Et je ne parle pas des exécutions sommaires de jour comme de nuit. Combien de meurtres exécutés dans le dos des autorités ?
Quelle tristesse...
De leur côté, des villages algériens entiers ont massacré des centaines et des milliers de harkis et de pieds-noirs. Dans ces moments-là, l'humain devient une bête, il ne cherche plus à comprendre.
(p. 102-103)
Dans les livres, tu ne trouveras que les exploits des hommes. Tu ne trouveras pas les noms des femmes qui ont fait la guerre [d'Algérie]. On les a effacées. Alors aujourd'hui, je me bats pour réhabiliter une histoire : pas celle de l'Etat mais celle de la parole. Et celle des femmes, aussi. La guerre d'indépendance, ça a aussi été la guerre des femmes dans la guerre des hommes.
(p. 68)
J’aurais aimé que les Algériens fassent la guerre contre les différences sociales et pas contre les différences culturelles.
La révolution, elle est belle pour le courage mais elle n'est pas belle dans sa vérité.
C'est ça qui perd les gens : ils veulent toujours transformer la vérité, ils veulent toujours changer leurs souvenirs.
"Tant de femmes et tant d'hommes ont accepté de voir leur histoire personnelle écrasée par la grande histoire parce qu'ils pensaient pouvoir la changer... Faut-il jeter leur histoire aux chiens ? Avant de jeter mon histoire, j'essaierai de l'écrire..."
Voilà ce qu'a écrit Wassyla Tamzali.
Moi aussi, avant de jeter ma propre histoire, j'ai voulu tout raconter. En parler pour ne pas oublier. En parler pour ne pas tomber dans le mensonge.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu pleures, papi ?
- Viens t'asseoir, Jérôme... Tu sais que j'ai été soldat ?
- Où ça ?
- En Algérie, pardi. Je devais avoir ton âge quand j'ai reçu mon ordre de mobilisation... L'Algérie... Je... je crois que je n'en ai jamais parlé à personne. Ici, on disait 'les événements' d'Algérie... J'ai jamais compris pourquoi. Mais pour nous, les appelés, c'était une vraie guerre, une sale guerre.
Notre combat militant effaçait les différences sociales et sexuelles.
La résistance, c'est s'exprimer sur les sujets qu'on veut taire.
Résister c'est s'exprimer.
Qui mange avec le chacal se lamente ensuite avec le berger (Proverbe algérien).