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Critique de Ys


Ys
11 février 2016
Deux frangins - un cadet encore candide, protestant convaincu, un aîné plus aguerri, catholique par la force des choses mais plus agnostique que croyant - qui s'aiment malgré tout et se retrouvent embarqués dans le chaos fratricide des guerres de religion : le prétexte était des plus séduisants, surtout pour moi que cette époque fascine et qui ai un faible marqué pour les histoires de frangins.
Tout commence, de fait, à merveille : des personnages accrocheurs (le cadet un peu falot mais attachant, l'aîné vraiment intéressant), un récit énergique, qui sait aller à l'essentiel pour faire vivre son sujet, avec juste ce qu'il faut de détails pittoresques et des dialogues bien tournés. Plus encore : une certaine distance de l'auteur vis à vis de son sujet, qu'il met en perspective avec autant d'esprit que d'originalité, comme dans ce chapitre intitulé "Dialogue entre le lecteur et l'auteur", pied de nez superbe du second aux attentes stéréotypées du premier.

Malheureusement, le récit a les défauts de ses qualités et finit par y perdre un peu en puissance et en équilibre formel.
Tout d'abord, Mérimée fait clairement du roman historique à la manière romantique, avec son lot d'aventures et d'anecdotes, l'inévitable histoire d'amour, les billets mystérieux, les rendez-vous secrets, l'amant jaloux, le duel incontournable. C'est un brin cliché (même si ces clichés-là, à l'époque, n'étaient peut-être pas encore aussi fermement établis qu'ils le sont devenus par la suite) et cela l'emporte un peu trop sur le plus intéressant : la relation des deux frères, les tensions religieuses qui couvent et vont bientôt éclater. C'est un peu cliché, mais de manière sans doute très assumée : Mérimée, il le fait bien sentir, ne prend pas lui-même très au sérieux cette partie-là de son récit, même s'il la conte assez bien pour la rendre accrocheuse. Il joue avec son lecteur, fait mine de lui offrir ce qu'il désire, écarte le masque sur un sourire, le remet pour quelques chapitres encore... et avec la Saint-Barthélémy, le jette pour de bon. L'histoire d'amour est expédiée, c'est la guerre qui l'emporte.
Malheureusement, à ce moment où les choses deviennent les plus intéressantes, la narration se fait beaucoup plus rapide, Trop rapide. Les trois quarts du roman sont déjà derrière nous, et le dernier quart se dénoue en une série de chapitres très courts, tous efficaces et bien tournés, mais trop distants dans la chronologie des faits et trop expéditifs. C'est efficace, c'est implacable, mais on n'est plus emportés comme au début et au final, pas grand chose n'est analysé, ni des rapports humains, ni des ressorts politiques de cette guerre civile qui broie sans pitié les individus qu'elle a pris dans ses rets.
L'histoire des deux frères de Mergy illustre habilement son temps, ses cruautés, ses ambiguïtés, mais si l'illustration n'est pas sans puissance et sans finesse, l'impression finale reste celle d'un récit un peu anecdotique, qui manque soit de souffle pour conquérir totalement son lecteur, soit de profondeur pour totalement l'interpeller.
Un récit qui joue un peu trop avec les conventions de son temps, quand au yeux du lecteur moderne, il ferait mieux de plus franchement s'en affranchir.

Ces défauts n'enlèvent rien au charme de l'écriture de Mérimée, vive, efficace, spirituelle, remarquablement moderne, et à une fin très réussie où s'affirme, sur cette trame tragique et sanglante des fanatismes exacerbés, la paisible grandeur de l'agnostique.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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