On croit toujours quand on voit le déroulement d'une existence comme la mienne, paysanne de montagne, que la vie coule sans évènements, sans passions, tout unie au rythme des saisons. Pourtant quels remous dans les tréfonds, quelle rébellion devant des vies sacrifiées-dont la mienne- parce qu'il était normal que l'on sacrifiât les filles; normal qu'elles aient pour tout horizon les repas, le ménage, la campagne, les bêtes, tout, tout...
Normal, ça ? ...On ne pensait pas que ces êtres en pleine formation pouvaient avoir besoin de quelque chose de plus qui s'appelle la gaieté, la joie, la tendresse, un peu de tendresse. (p.23)
Dans la préface, lettre de Marguerite Yourcenar:
- Si étrange que ce soit, vous l'avais-je dit dans une première lettre ?- Je considère que cette Valaisanne rencontrée peut-être une demi-douzaine de fois a été un de mes -gurus-; Elle m'a beaucoup appris non seulement sur les traditions de son pays, mais encore sur la vie, je veux dire sur sa manière d'envisager le vie et de la vivre. Plus je vais, plus je constate qu'il y ainsi des êtres dont personne presque ne saura jamais rien, ou qui sont même parfois, comme votre lettre l'indique, en proie à l'ironie ou aux railleurs, et qui sont tout simplement grands, ou purs. Il m'a semblé tout de suite que Marie Métailler était de ceux-là....(p.9)
Au début du siècle, mon père s'était monté toute une bibliothèque qu'il nous laissait lire. C'était extraordinaire à l'époque. Il s'était aussi abonné à toutes sortes de journaux; de quoi se faire une culture. Compte tenu de ses origines paysannes, il était étonnamment cultivé. Il s'intéressait à tout, il absorbait tout comme une éponge. Mais il était très seul. Où trouver dans un village des interlocuteurs partageant les mêmes intérêts ? Il avait bien de vieux amis qui venaient le voir et qu'il aimait beaucoup...néanmoins, il avait besoin d'autres contacts qu'il n'a jamais trouvés.
Avec ma mère, il parlait peu; ils étaient trop dissemblables. Elle n'était pas du tout inculte, loin de là, mais pour elle tout se résumait à une religion, comment est-ce qu'il faut dire ? ...à une religion classique, une religion punissive
, culpabilisante qui était uniquement un ensemble de règles, de recettes à appliquer correctement.
Quand je fus un peu plus âgée, vers mes 16 ans, je pensais : "c'est une religion de ronds de cuir, ça !" Il n'y a pas d'autres mots. C'est vrai...Une religion à tiroirs, si tu veux, où chaque chose doit être bien rangée...surtout que rien ne dépasse...une religion où il n'y avait rien pour le cœur, ni pour l'esprit. (p.26)