“C'est ça, voilà, je ne sais pas quand on a passé cette frontière-là. Quand c'est devenu normal de lui faire vraiment mal, de lui faire vraiment peur, ou plutôt d'essayer, puisqu'elle ne réagit pas. De pousser, encore et encore, pour obtenir quelque chose d'elle, je ne sais pas quoi. Des larmes, des supplices, un Clément d'yeux. J'ignore quand c'est devenu normal de faire ça, ou de regarder faire ça.” pg 97
Rien n’était normal et tout était normal. Tout ce qui était anormal avait commencé depuis le début, alors maintenant, c’était normal. Je ne sais pas comment l’expliquer.
– Quelqu’un a vu Éléonore ? a demandé Tara.
Éléonore. Bien sûr. Je l’avais oubliée. Mais forcément. C’est compliqué de voir que quelqu’un manque quand ce quelqu’un ne manque à personne.
-Eléonore? (...)
Si, moi, je déteste cette colo, elle, elle doit être consumée de rage. Je n'arrive même pas à imaginer. En entendant la voix d'Aïssa, Eléonore se penche, avec un sourire timide. En voyant que je suis derrière elle, elle redevient impassible. Comme si elle quittait son visage.
Je voulais me taire, il fallait que je me taise, je devais me taire. J’allais dire des choses, trop de choses, des choses mesquines et tristes et en colère, toutes les choses qui moisissent dans ma tête depuis qu’Aïssa a changé de collège et qu’elle m’a laissée toutes seule.
Pour Eleonore, maintenant, temps-calme, c’est temps caché. Elle est avec nous toute la journée, mais elle passe son temps à essayer de nous éviter. Je ne veux pas savoir ce que ça fait.
Je lui en veux à elle, et ça me permet de ne pas m’en vouloir à moi. On dira ce qu’on veut, c’est pratique.
Elle ne dit rien. Je pense : Tant pis. Si elle ne dit rien, c’est qu’elle ne veut rien dire, et je m’arrange avec ça, en sachant que je me mens.
Voilà. Eléonore avait disparu. Tout allait bien. Rien n’était normal. Tout était normal.