Citations sur Chroniques lunaires, tome 2.5 : L'armée de la reine (12)
Ce n’est qu’au moment où la reine se leva qu’il osa se tourner vers elle. Elle avait la tête penchée sur le côté, et sans doute une expression pensive derrière son voile.
- Propre et efficace, apprécia-t-elle, avant de frapper trois fois dans ses mains.
C’était le premier combat qu’elle applaudissait. Il ne savait pas ce qu’il fallait en penser.
- Beau travail… alpha, conclut-elle.
Ils lui assurèrent que l'anesthésie le plongerait dans un sommeil si profond qu'il ne ferait aucun rêve, mais ils se trompaient. Il rêva qu'on lui enfonçait des aiguilles sous la peau. Qu'on lui empoignait les dents avec des tenailles. Il rêva de cendres chaudes et de fumée dans ses yeux. Il rêva de toundra enneigée, d'un froid comme il n'en avait jamais connu et d'une faim que la chair sanguinolente dans sa gueule parvenait tout juste à rassasier.
Parcouru d'un frisson, il se dressa sur la pointe des pieds et embrassa sa mère sur la joue. Il serra son père entre ses bras, très fort, pour lui faire savoir à quel point il l'aimait.
Puis, il bomba le torse et s'avança vers les thaumaturges.
Le sourire de la femme s'élargit.
_ Bienvenue dans l'armée de la reine.
Z n’avait aucune envie de se retrouver de nouveau sur cette table d’opération. Il ne voulait plus jamais sentir une aiguille sous sa peau. Il ne tenait pas à se réveiller couvert de fourrure avec un regard dépourvu de toute humanité.
La reine préparait des soldats d’un genre nouveau, et il était bien résolu à devenir l’un d’entre eux.
Z froissa ses couvertures entre ses poings, tâchant d’y déverser toutes ses peurs. Il se concentra pour s’empêcher d’entrer en hyperventilation. Il ne tenait pas à ce que son frère, endormi de l’autre côté de la chambre, s’inquiète pour lui.
Il avait toujours su que ce moment viendrait.
Il était le premier de sa classe. Il était plus fort que certains collègues de son père à l’usine. Malgré tout, il avait espéré que ses professeurs l’oublieraient ; qu’il pourrait y échapper.
Mais cet espoir ne durait jamais bien longtemps. Depuis tout petit, on l’élevait dans l’attente d’une visite des thaumaturges de la reine au cours de sa douzième année – visite qui, s’il en était digne, déboucherait sur son enrôlement dans la nouvelle armée qu’elle constituait. C’était un grand honneur de servir la Couronne. Cela ferait la fierté de sa famille et de son quartier.
— Tu ferais mieux de t’habiller.
Il tourna la tête vers son frère, dont les yeux brillaient dans l’obscurité. Il ne dormait pas, en fin de compte.
— Ils vont bientôt t’appeler. Ne les fais pas attendre.
— Nous sommes venus t’informer qu’après examen de tes tests d’aptitudes, tu as été choisi pour recevoir les modifications physiques et l’entraînement d’un soldat d’élite de l’armée de Sa Majesté. Ton enrôlement prend effet immédiatement. Inutile de préparer ton sac – on te fournira tout le nécessaire. Comme tu n’auras plus de contacts avec ta famille biologique, tu peux lui faire tes adieux.
"Mais il s'agissait là d'une manipulation d'un autre ordre, à laquelle il n'était pas facile de résister. Il comprit alors que son sort était scellé. Il allait partir avec eux et devenir l'un des pantins de Sa Majesté, dressé comme un chien sans volonté."
Une onde de curiosité parcourut les soldats. Z s'obligea à se tenir droit, quitte à tirer sur ses omoplates. Il prit le temps d'affronter le regard de chacun, en réalisant que, malgré la profusion d'arômes inconnus qui régnaient dans la grotte, il pouvait sans mal identifier l'odeur de chacun d'entre eux.
Par ce meurtre, il s’était assuré qu’elle ne le transformerait pas en monstre.
Tout comme il était sûr que là haut, en surface, le long jour allait bientôt poindre.
Il ne remportait pas tous ses combats, mais ne les perdait pas tous non plus. Au bout d’un an et demi – autant qu’il puisse en juger, faute de pouvoir se baser sur les longs jours et les longues nuits pour son estimation – il se retrouva solidement installé parmi la meute. Un bêta ordinaire.