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Critique de berni_29


Le Pavillon d'Or ressemble pour moi au reflet du ciel sur l'eau pâle d'un lac. Ciel bleu, ciel noir ? C'est sans doute entre ces deux couleurs du ciel que le récit oscille et mon sentiment aussi (je vous jure : je n'ai pas fait exprès !).
Je suis entré par enchantement dans ce texte. L'écriture est belle, mais il y a autre chose, une variation, une oscillation, une incantation entre deux pans de la vie, le côté lumière et le côté ombre comme si le chemin de l'existence devait trouver sa cadence dans ces deux versants qui s'opposent.
Il faut se saisir de ce livre avec lenteur lorsqu'on est vraiment disposé à y entrer, c'est-à-dire détaché, éloigné de tous les bruits extérieurs de l'existence.
Les bruits intérieurs, ce sont autre chose, ils nous appartiennent en quelque sorte et je sais par expérience que certaines lectures savent les apaiser.
Yukio Mishima, l'auteur, dont ici c'est ma première incursion dans son univers, s'empare d'un fait divers qui survint dans la nuit du 2 juillet 1950 au cours de laquelle le Pavillon d'Or, temple bouddhiste de Kyoto, datant du quatorzième siècle, fut incendié par un acte criminel. Ce drame qui détruisit ce lieu sacré émut le Japon encore traumatisé par les plaies de la seconde guerre mondiale. Lorsque l'identité du pyromane fut révélée, un jeune moine qui avoua avoir agi par "haine de la beauté", le choc fut encore plus grand...
Nous suivons ce jeune bonze, le narrateur, dans les pas qui vont l'amener à commettre l'insensé. C'est un récit d'apprentissage. Tout est fait pour accueillir cet enfant dans le sérail religieux, mais il est laid, il est bègue, il en souffre, souffre des quolibets et injures de ceux qu'il croise sur son chemin. On pourrait se dire que dans son chemin d'apprentissage, il trouvera de quoi apaiser les tourments de son coeur...
L'obsession de la beauté, et donc celle aussi de la laideur, forme l'ossature du texte. Naître sans beauté, est-ce naître sans grâce ?
La beauté ici fait front à une volonté de sa destruction. C'est tout d'abord la beauté du lieu qui fascine le narrateur lorsqu'il le découvre pour la première fois, les premiers reflets du temple dans l'eau, son or qui brille, ondes chatoyantes, éblouissantes, aveuglantes presque, comme une beauté parfaite et arrogante, qui choque déjà le jeune garçon.
Peut-on éprouver une haine de la beauté au point de vouloir un jour la détruire ? L'humiliation qui ronge un coeur peut-elle à elle seule expliquer cela... ?
Mais la beauté est parfois dans la rencontre d'une jeune femme, sa peau blanche, son corps qui attire le regard fasciné, l'émotion d'un adolescent aux prémices de la vie.
Pêle-mêle, j'ai aimé l'atmosphère du livre, les paysages, les personnages (l'inoubliable Tsurugawa, le compagnon au coeur pur mais aussi Kashiwagi le cynique aux pieds bots), et surtout l'écriture et le style de Mishima qui fait surgir les images dans notre esprit.
Le narrateur cherche pourtant des chemins de traverse. Parce qu'il souffre. Il souffre du regard méprisant des jeunes filles. Comment ne pas se sentir brusquement effroyablement lourds face à la beauté qui surgit dans le paysage ? Comment prendre la vie à revers ?
Contre toute attente, il devient sans cesse un coeur impatient de retrouver le Pavillon d'Or lorsque ses pas l'en éloignent. Allez comprendre...
Pour autant, à aucun instant j'ai ressenti de l'empathie pour ce jeune moine dans sa souffrance. Je crois que l'auteur n'y tenait pas et cette distance dans laquelle il nous tient vis-à-vis de son personnage est sans doute la meilleure manière d'apprécier le récit dans toute son ambivalence.
La beauté, l'inutile beauté, est là, au coeur du récit, faisant peu à peu son ravage dans le coeur du narrateur, le perçant comme une vrille. Entre fascination et répulsion.
Ce roman est aussi un murmure de bruits et d'images. le grincement d'une balançoire. le bruissement des bambous. La douceur des chrysanthèmes. L'imminence de la mer...
Les deux amis du narrateur ont aussi de l'importance, entre le sage Tsurukawa et le cynique Kashiwagi. C'est un peu comme si l'un était sa bonne conscience, l'autre sa mauvaise, oscillant de l'une à l'autre comme le balancier d'un pendule. On pense forcément au Ying et au Yang. La fascination du narrateur pour ce personnage insensible qu'est Kashiwagi nous sidère forcément, la beauté s'est détournée de lui depuis longtemps et tout semble lui réussir, le désir, les femmes...
Les pages viennent, se déplient, érotiques parfois dans l'effleurement des mots. L'échancrure d'un kimono, le crissement de la soie qui s'ouvre, la blancheur d'une peau nue dans l'entrebâillement du tissu. le texte à certains endroits est d'un chavirement érotique capable de créer des émois chez le lecteur qui je suis. Vous me direz... Mais non, vous ne me direz rien... Laissez-moi savourer ce que l'écrit peut encore suggérer avec tant d'audace et d'extase alors que l'image est là pour tout gâcher...
Au rythme de cette déambulation tendue vers le geste fatal qui dicte les pas de notre narrateur, le Pavillon d'Or surgit dans l'absolu de son éternité, dresse son architecture, cristallise cet obstacle qui se met sans cesse sur sa route, entre lui et la vie, la vie qu'il pourrait cueillir à gorges déployées.
Le Pavillon d'Or, ce monument, qui impose sa stature impressionnante, est un personnage à part entière, qui tient du mystique et du vivant.
La permission devient alors consentement. Ce qui semblait interdit au narrateur devient alors une manière de s'accomplir dans l'incandescence d'un geste presque ordinaire, celui de gratter une allumette...
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