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Marc Mécréant (Traducteur)
EAN : 9782070366491
375 pages
Gallimard (06/02/1975)
3.95/5   872 notes
Résumé :
Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l'envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l'une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu'elle se mettait à la pétrir. L'officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d'un noir profond.
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Critiques, Analyses et Avis (100) Voir plus Ajouter une critique
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sur 872 notes
Yukio Mishima (ou l'inverse si l'on veut faire plus japonais) est parti d'un fait divers réel, à savoir l'incendie du célèbre et vénérable pavillon d'or de Kyôto par un novice quelque peu déséquilibré en 1950, pour en faire un roman initiatique d'une grande subtilité et absolument dépourvu de manichéisme.

Il faut rappeler que Mishima avait 25 ans au moment des faits et que l'incendiaire en avait 21, donc, qu'ils appartenaient quasiment à la même génération, ce qui a permis à l'auteur d'injecter multiples influences qu'il était capable de puiser chez lui ou certaines de ses connaissances pour forger un personnage crédible en s'appuyant sur les quelques éléments réels de la biographie du bonze novice qui se rendit coupable de ce sacrilège.

C'est donc un lent et vacillant cheminement auquel nous invite Mishima sur les traces d'un adolescent frappé d'une infirmité d'élocution, qui se sait laid, qui déteste sa mère et a perdu son père, lequel, lui-même prêtre zen lui a transmis un véritable sens de la vénération pour la beauté incomparable du pavillon d'or.

À la mort de son père, le prieur (principal religieux du temple où figure le pavillon d'or) recueille le jeune adolescent, étant un ami du père et lui ayant assuré de veiller sur lui. Ainsi, notre adolescent torturé devient novice au temple et peut contempler à loisir ce bijoux de raffinement et de fascination qu'est le pavillon d'or.

Il va se lier à deux amis, qui symboliseront le yin et le yang du jeune homme. Tsurukawa, d'une part, sorte de génie bienveillant qui arrive à percevoir les bons côtés du jeune bonze derrière ses infirmités et ses frustrations, tentant ainsi de les magnifier.
D'autre part, Kashiwagi, sorte de côté obscur, génie malveillant, qui sous prétexte de libération pousse son ami vers la dépravation.

On verra donc le jeune bonze tiraillé jusqu'au plus profond de son âme entre le côté lumineux et le côté obscur, adolescent mal dans sa peau, complexé dans sa chair, mal dans le monde, épris de beauté mais s'en sentant exclus, la recevant même comme une injure, faisant ressortir sa propre laideur, tant physique que spirituelle jusqu'à lui devenir insupportable.

La pavillon d'or cristallise tout ce qui, à ses yeux, est le summum du beau, donc ce qui l'empêche de vivre...

En somme, un beau roman sous forme de récit à la première personne, très psychologique où, au détours de quelques passages on devine un Japon d'après guerre, ruiné économiquement, gangrené par le marché noir et humilié par la présence des militaires américains. Je vous ai donné mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose, maintenant c'est à vous de jouer pour forger le vôtre.
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Si vous êtes actuellement en recherche d'un bouquin distrayant avec des personnages hauts en couleur et dégageant une joie de vivre, passez votre chemin et remettez à plus tard la visite du Pavillon d'Or !

L'action du roman se situe dans la région de Kyoto, l'ancienne capitale impériale.
Nous sommes dans l'immédiat après-guerre, le Japon est traumatisé par la défaite, l'apocalypse nucléaire et la présence des troupes américaines sur son sol met à mal la fierté de tout un peuple.

C'est dans ce contexte historique peu reluisant que nous faisons connaissance avec Mizoguchi, le fils d'un prêtre bouddhiste. Celui-ci à transmis à son fils son amour paroxysmique du Pavillon d'Or, le plus connu des temples de Kyoto.
Au décès du père, le Prieur du Pavillon d'Or, Tayama Dosen, prend le jeune Mizoguchi sous son autorité ; il devient alors novice du temple dont il à tant rêvé.
Mizoguchi est une personne introvertie qui se trouve laide et qui bégaie. Son seul véritable plaisir est la contemplation du Pavillon d'Or, summum à ses yeux de la beauté sur terre.
Il se lie toutefois d'amitié avec un autre novice, Tsurukawa. Celui-ci va avoir une influence positive sur Mizoguchi qui prendra peu à peu confiance en lui au point d'avoir pour ambition à un moment donné, d'occuper un jour le poste de Prieur. Mais Tsurukawa meurt brutalement.

Privé de son soutien moral, la trajectoire du jeune Mizoguchi va brutalement s'inverser.
De plus en plus perturbé et très mal entouré, il sombrera au fil des pages dans un délire paranoïaque dans lequel il rendra le Pavillon d'Or responsable de tous ses malheurs et finira par commettre l'irréparable…

J'ai adoré ce roman. L'histoire est finalement assez sordide mais l'approche psychologique des personnages, à commencer bien sûr par le personnage central Mizoguchi, est traitée avec beaucoup de justesse et sans parti pris. Mishima laisse le lecteur se faire sa propre opinion sur l'acte à priori insensé du jeune novice.
Mais c'est sans doute la poésie omniprésente que le lecteur appréciera avant tout. Il gardera longtemps en mémoire la magnificence du Pavillon d'Or, comme faisant partie intégrante de la nature.
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La beauté est une offrande en même temps qu'une injure à celui qui naît sans grâce.
Dans la nuit du 2 juillet 1950, le Pavillon d'Or, temple bouddhiste de Kyoto, datant du quatorzième siècle, est incendié. le Japon, alors très affaibli par la guerre, est en état de sidération face aux ruines de ce lieu sacré. Mais le plus choquant est peut-être l'identité de l'incendiaire, un jeune moine qui dit avoir agi par "haine de la beauté". Cet acte insensé, Mishima va tenter de lui donner une explication. C'est ainsi qu'il écrira ”Le Pavillon d'Or”, roman complexe et remarquable qui plonge le lecteur dans les eaux profondes du psychisme d'un adolescent blessé, Mizoguchi.

Chétif et bègue, exposé aux moqueries, Mizoguchi apprend tôt à se taire. Puis il grandit, en même temps que grandit en lui une sourde colère. Se sachant malade, son père entreprend avec lui son dernier voyage. Ce sera le Pavillon d'Or. le père de Mizoguchi souhaite confier son fils au Prieur du temple. Et c'est pendant la visite, devant ces dorures se reflétant sur les miroirs d'eau que survient l'éblouissement, la bouleversante découverte de la beauté.
A la mort du père, une vie de jeune moine commence, en petite communauté. Là, il connaîtra son premier véritable attachement pour un autre élève moine, Tsurukawa, un jeune homme qui l'accepte tel qu'il est, lui permettant de s'ouvrir enfin. Mais cette belle amitié va très vite se doubler d'une autre, plus vénéneuse, avec le roué Kashiwagi, un infirme empli de cynisme.
Mizoguchi se sentira tiraillé entre ses deux amis comme on peut l'être entre la vertu et la tentation du Mal. le premier est simple et bon, quand le deuxième est imprévisible, lâche et mesquin. C'est pourtant ce dernier ami qui attirera inexorablement Mizoguchi, réduisant à néant son idéal de pureté. Car Mizoguchi est un coeur pur qui fut une première fois blessé en découvrant l'infidélité de sa mère et qui le sera une nouvelle fois en voyant le Prieur du temple en compagnie d'une geisha. Ainsi donc rien n'est sacré en ce bas monde? La colère de Mizoguchi s'accroît encore lorsqu'il doit servir de guide à des touristes venus visiter le temple. L'une des scènes marquantes du roman est d'ailleurs une visite durant laquelle un américain, accompagné d'une japonaise, demande à Mizoguchi de marcher sur le ventre de sa compagne avec laquelle il vient de se disputer. Mizoguchi obéit, scène insoutenable de violence et d'humiliation qui sonne comme une allégorie de la défaite. le Japon et la beauté sont foulés au pied par la vulgarité des vainqueurs et Mizoguchi, par sa soumission, est leur complice.

Comme pour mieux l'isoler encore, Mishima a fait de ce moine un personnage qui n'éveille pas l'empathie du lecteur. Adolescent torturé, fasciné par la beauté mais ne s'en jugeant pas digne, on le retrouve impuissant devant une belle femme ou méprisant devant une femme plus laide. Il est aussi calculateur et manipulateur.
Pourtant, n'est-ce pas pour soustraire aux forces occupantes ce merveilleux Pavillon d'Or que Mizoguchi décide d'y mettre le feu? N'a-t-il pas la volonté de rendre ce temple à sa culture par la vertu purificatrice des flammes? le feu, comme expression de colère et de désillusion que la parole gelée ne peut dire.

Vertigineuse réflexion sur la Beauté et le Sacré, le Pavillon d'Or est un abîme, un livre qui ne cesse d'ouvrir des portes sur des pièces toujours plus sombres. Mais peut-être que ce chef-d'oeuvre mériterait une nouvelle traduction, celle-ci datant de 1961. Quel traducteur aujourd'hui écrirait "de faible complexion" ou "billevesée"? Je ne suis pas certaine que le charme suranné d'une langue impeccable mais très (trop?) classique rende encore justice à ce roman qui, lui, n'a pas vieilli et dont le sujet principal, la fragilité de la beauté nous atteint parfois de plein fouet, comme ce fameux soir où nous regardions, sidérés nous aussi, brûler la cathédrale Notre-Dame de Paris.


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Le Pavillon d'Or ressemble pour moi au reflet du ciel sur l'eau pâle d'un lac. Ciel bleu, ciel noir ? C'est sans doute entre ces deux couleurs du ciel que le récit oscille et mon sentiment aussi (je vous jure : je n'ai pas fait exprès !).
Je suis entré par enchantement dans ce texte. L'écriture est belle, mais il y a autre chose, une variation, une oscillation, une incantation entre deux pans de la vie, le côté lumière et le côté ombre comme si le chemin de l'existence devait trouver sa cadence dans ces deux versants qui s'opposent.
Il faut se saisir de ce livre avec lenteur lorsqu'on est vraiment disposé à y entrer, c'est-à-dire détaché, éloigné de tous les bruits extérieurs de l'existence.
Les bruits intérieurs, ce sont autre chose, ils nous appartiennent en quelque sorte et je sais par expérience que certaines lectures savent les apaiser.
Yukio Mishima, l'auteur, dont ici c'est ma première incursion dans son univers, s'empare d'un fait divers qui survint dans la nuit du 2 juillet 1950 au cours de laquelle le Pavillon d'Or, temple bouddhiste de Kyoto, datant du quatorzième siècle, fut incendié par un acte criminel. Ce drame qui détruisit ce lieu sacré émut le Japon encore traumatisé par les plaies de la seconde guerre mondiale. Lorsque l'identité du pyromane fut révélée, un jeune moine qui avoua avoir agi par "haine de la beauté", le choc fut encore plus grand...
Nous suivons ce jeune bonze, le narrateur, dans les pas qui vont l'amener à commettre l'insensé. C'est un récit d'apprentissage. Tout est fait pour accueillir cet enfant dans le sérail religieux, mais il est laid, il est bègue, il en souffre, souffre des quolibets et injures de ceux qu'il croise sur son chemin. On pourrait se dire que dans son chemin d'apprentissage, il trouvera de quoi apaiser les tourments de son coeur...
L'obsession de la beauté, et donc celle aussi de la laideur, forme l'ossature du texte. Naître sans beauté, est-ce naître sans grâce ?
La beauté ici fait front à une volonté de sa destruction. C'est tout d'abord la beauté du lieu qui fascine le narrateur lorsqu'il le découvre pour la première fois, les premiers reflets du temple dans l'eau, son or qui brille, ondes chatoyantes, éblouissantes, aveuglantes presque, comme une beauté parfaite et arrogante, qui choque déjà le jeune garçon.
Peut-on éprouver une haine de la beauté au point de vouloir un jour la détruire ? L'humiliation qui ronge un coeur peut-elle à elle seule expliquer cela... ?
Mais la beauté est parfois dans la rencontre d'une jeune femme, sa peau blanche, son corps qui attire le regard fasciné, l'émotion d'un adolescent aux prémices de la vie.
Pêle-mêle, j'ai aimé l'atmosphère du livre, les paysages, les personnages (l'inoubliable Tsurugawa, le compagnon au coeur pur mais aussi Kashiwagi le cynique aux pieds bots), et surtout l'écriture et le style de Mishima qui fait surgir les images dans notre esprit.
Le narrateur cherche pourtant des chemins de traverse. Parce qu'il souffre. Il souffre du regard méprisant des jeunes filles. Comment ne pas se sentir brusquement effroyablement lourds face à la beauté qui surgit dans le paysage ? Comment prendre la vie à revers ?
Contre toute attente, il devient sans cesse un coeur impatient de retrouver le Pavillon d'Or lorsque ses pas l'en éloignent. Allez comprendre...
Pour autant, à aucun instant j'ai ressenti de l'empathie pour ce jeune moine dans sa souffrance. Je crois que l'auteur n'y tenait pas et cette distance dans laquelle il nous tient vis-à-vis de son personnage est sans doute la meilleure manière d'apprécier le récit dans toute son ambivalence.
La beauté, l'inutile beauté, est là, au coeur du récit, faisant peu à peu son ravage dans le coeur du narrateur, le perçant comme une vrille. Entre fascination et répulsion.
Ce roman est aussi un murmure de bruits et d'images. le grincement d'une balançoire. le bruissement des bambous. La douceur des chrysanthèmes. L'imminence de la mer...
Les deux amis du narrateur ont aussi de l'importance, entre le sage Tsurukawa et le cynique Kashiwagi. C'est un peu comme si l'un était sa bonne conscience, l'autre sa mauvaise, oscillant de l'une à l'autre comme le balancier d'un pendule. On pense forcément au Ying et au Yang. La fascination du narrateur pour ce personnage insensible qu'est Kashiwagi nous sidère forcément, la beauté s'est détournée de lui depuis longtemps et tout semble lui réussir, le désir, les femmes...
Les pages viennent, se déplient, érotiques parfois dans l'effleurement des mots. L'échancrure d'un kimono, le crissement de la soie qui s'ouvre, la blancheur d'une peau nue dans l'entrebâillement du tissu. le texte à certains endroits est d'un chavirement érotique capable de créer des émois chez le lecteur qui je suis. Vous me direz... Mais non, vous ne me direz rien... Laissez-moi savourer ce que l'écrit peut encore suggérer avec tant d'audace et d'extase alors que l'image est là pour tout gâcher...
Au rythme de cette déambulation tendue vers le geste fatal qui dicte les pas de notre narrateur, le Pavillon d'Or surgit dans l'absolu de son éternité, dresse son architecture, cristallise cet obstacle qui se met sans cesse sur sa route, entre lui et la vie, la vie qu'il pourrait cueillir à gorges déployées.
Le Pavillon d'Or, ce monument, qui impose sa stature impressionnante, est un personnage à part entière, qui tient du mystique et du vivant.
La permission devient alors consentement. Ce qui semblait interdit au narrateur devient alors une manière de s'accomplir dans l'incandescence d'un geste presque ordinaire, celui de gratter une allumette...
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Dans toute l'oeuvre de Yukio Mishima et dans son suicide spectaculaire, la mort explose comme un soleil. L'origine du roman le Pavillon d'Or ( Kinkakuji, 1956) est un événement réel, qui choqua les Japonais. le 1er juillet 1950 Hayashi Shôken, bonze novice de vingt et un ans, laid et bègue provoque l'incendie d'un chef d'oeuvre architectural de Kyoto, jusque là miraculeusement épargné des typhons et des bombardements. Mishima s'empare du sujet, de quelques particularités d'Hayashi Shôken et imagine le processus intérieur qui conduira un jeune novice à la destruction du Pavillon d'Or. Et en même temps il développe ses propres préoccupations esthétiques et philosophiques. L'écriture est limpide, précise et les descriptions saisissantes.

Mishima est un très bon conteur qui prend au piège son lecteur. On s'attache d'emblée à Mizogushi, le narrateur. Ce jeune homme, bègue et laid, moqué et mal aimé est émerveillé depuis son enfance par ce que lui raconte son père, un obscur prêtre de campagne aux mains sales, au sujet du Pavillon d'Or. La réalité le déçoit évidemment : c'est un vulgaire pavillon noirâtre. Son père meurt et Mizogushi n'éprouve rien. Il est détaché de la réalité. Il devient novice au temple du Pavillon d'Or. Il ne l'idéalise plus même si le Pavillon demeure sacré. Cependant il se remet à l'aimer passionnément quand le Pavillon est sur le point de finir en cendres dans les bombardements ou d'être balayé par le typhon. Mizogushi est seul à garder le Temple et fait corps avec lui, souhaitant ardemment sa destruction. Il éprouve alors un rare moment de paix et de volupté. Mais le Pavillon d'Or ne cède pas, il semble au contraire immortel et lui renvoie sa laideur physique et morale ainsi que son impuissance à la figure. Mizogushi a deux amis. le premier lui semble un modèle de beauté, de gentillesse et de pureté. le second Kashiwagi est plus intéressant, plus ambigu. Il est laid et a un pied bot. Il s'adapte à la réalité et sait se faire apprécier des femmes. Il cerne parfaitement la personnalité de Mizogushi, l'entraîne dans la débauche avec l'intention de l'arracher au Pavillon d'Or, comme l'explicite son interprétation de l'énigme zen de « NANSEN TUE UN CHAT »*. En vain. Mizogushi est trop orgueilleux. Il imagine alors se venger cruellement de tous ceux et de toutes celles qui le méprisent. La vengeance d'abord fantasmée se réalise dans une scène explicitement sadique. En même temps il veut posséder jalousement le Pavillon d'Or et le défendre des souillures, de la vulgarité en particulier celles de l'occupant et des touristes. Il a pensé à remplacer un jour le Prieur mais son ambition est sapée par son orgueil démesuré et sa mauvaise conduite. Il est seul. le Pavillon d'or est devenue sa prison, un lieu de Beauté, de Pureté qui l'empêche de vivre. Et qu'il lui faut détruire.

Mishima plonge très profondément dans les pensées et les émotions les plus obscures de son personnage avec une rare intensité. le lecteur éprouve de plus en plus de répulsion devant sa cruauté. A un certain stade, l'identification me semble impossible, surtout si on est une femme, et il faut prendre du recul pour admirer le chef d'oeuvre.

*Tuer le chat, c'était arracher la dent qui fait mal, extirper la Beauté à la gouge. Était-ce bien résoudre le problème ? Je ne sais pas. Les racines du Beau n'en étaient point, pour autant tranchées ; morte la bête, sa beauté ne l'était peut-être pas. Et c'est pour se moquer de cette solution trop commode que Chôshu met ses sandales sur sa tête. Il savait, pour ainsi dire, qu'il n'est pas d'autre solution que d'endurer le mal de dents.
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Ce qui change le monde, c'est la connaissance. Rien d'autre, rien ne peut transformer le monde. La connaissance seule peut le changer, tout en le laissant tel qu'il est, inchangé. Vu sous cet angle, le monde est éternellement immuable, mais aussi en perpétuel changement. Tu me diras que ça ne nous sert pas à grand-chose. N'empêche que pour rendre la vie supportable, on peut le dire, l'humanité dispose d'une arme, qui est la connaissance. les bêtes n'ont pas besoin de ça. Parce que pour elles ça ne signifie rien : rendre la vie supportable. Mais l'homme, lui, connaît et se fait une arme de la difficulté même de supporter l'existence, sans que pour autant cette difficulté s'en trouve pour le moins adoucie.
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Il n'y avait pas grand monde dans mon compartiment de troisième. Les quelques spécimens assis là de cette humanité si difficile à aimer tiraient fébrilement des bouffées de leurs cigarettes ou pelaient des mandarines. Un vieil employé de quelque organisme officiel devisait à voix haute avec son voisin de banquette. Tous deux portaient de vieux complets tout déformés ; un lambeau de doublure à raies sortait d'une manche. J'admirai une fois de plus à quel point l'accumulation des années est impuissante contre la médiocrité...

La porte du wagon s'ouvrit brusquement et un vendeur à la voix rauque apparut, une corbeille pendue au cou. Cela me rappela que j'avais le ventre vide. J'achetai un repas en boîte : des pâtes verdies par les algues qui, visiblement, tenaient lieu de riz. Le brouillard s'était levé, mais il n'y avait point de clarté au ciel. Au bas des pentes arides du mont Tamba, on commença d'entrevoir, au milieu des mûriers, quelques unes de ces maisons où l'on fabrique du papier.

... Baie de Maizuru ! Tout comme autrefois ce nom seul me fit battre le cœur. Je ne saurais dire pourquoi. Mais depuis mes années d'enfance au village de Shiraku, c'était comme un terme global pour désigner la mer invisible - et qui avait fini par désigner l'imminence de la mer...

La voix du contrôleur qui passait, annonçant la station suivante : Maizuru-Ouest, coupa court à ma rêverie. Des marins qui, jadis, avec une belle précipitation, chargeaient leur sac d'un coup d'épaule, il n'y avait plus un seul aujourd'hui. À part moi, ne se disposaient à descendre que plusieurs personnages aux allures de trafiquants du marché noir.

... Quel changement ! On se serait cru dans un port étranger : à tous les coins de rue, des pancartes en anglais avaient poussé, quasi menaçantes ; des soldats américains allaient et venaient sans arrêt. Sous le ciel bas de l'hiver commençant, une brise froide, chargée de sel, balayait la grande avenue tracée pour les besoins de l'armée. Elle portait moins les senteurs du large que l'odeur inorganique du fer rouillé. L'étroit bras de mer qui, tel un canal, pénétrait jusqu'au cœur de la cité, la surface morte de ses eaux, la vedette américaine amarrée au quai... tout cela assurément respirait la paix ; et pourtant, les excès d'une pointilleuse politique d'hygiène avaient dépouillé le port, autrefois si grouillant, de sa vitalité physique, en sorte que la ville entière avait un air d'hôpital...

À la sortie de la ville, la route partait vers l'ouest, longeait le fond de la baie, coupait à angle droit la ligne de Miyazu, franchissait bientôt le col de Takijiri et débouchait sur la rivière Yura. Passé le pont d'Okawa, elle remontait vers le nord le long de la rive ouest de la rivière, dont elle épousait le cours jusqu'à l'embouchure...

Une tradition d'ailleurs suspecte , veut que la résidence de Sansho Dayu, châtelain redouté de jadis, se trouve dans ces parages. Mais n'ayant pas la moindre envie de m'y arrêter, je passai devant sans même m'en apercevoir : je n'avais d'yeux que pour la rivière.

Il y avait, en son milieu, un grand îlot avec un bois de bambous. Bien que, sur la route où j'étais, aucun souffle ne fût perceptible, les bambous de l'île se prosternaient sous le vent. L'île comprenait aussi un ou deux hectares de rizières que l'on irriguait à l'eau de pluie. Mais pas l'ombre d'un paysan, seulement le dos d'un pêcheur à la ligne. Cela faisait un bon moment que je n'avais vu personne et je me sentis de l'amitié pour lui.

" Pêche-t-il le mulet ? Car si par hasard c'est le mulet qu'il pêche, on n'est pas loin de la mer..."

À cet instant, les bambous tout ployés bruirent plus fort, jusqu'à couvrir le clapotis de l'eau. Un brouillard parut monter sur l'île : la pluie, qui détrempa les herbes sèches. Le temps de la remarquer, l'ondée était déjà sur moi. Mais sur l'île que, trempé jusqu'aux os, je continuais à observer, l'averse avait cessé. Le pêcheur était tel que tout à l'heure : il n'avait pas bougé d'un centimètre.

Le grain passa...

Je perçus un ronronnement sourd et tremblé. Des voix humaines aussi. Ce fut quand, inconsciemment, je tournai le dos au vent féroce pour contempler le pic Yura-ga-take.

Je cherchai d'où venaient les voix. Un sentier descendait vers la plage, longeant la falaise basse. Je savais que, contre l'érosion prodigieusement rapide , une digue, encore discontinue, était en cours de construction. Blancs comme des os de squelette, des pilotis de béton gisaient çà et là ; la couleur du ciment frais sur le sable avait quelque chose d'étrangement alerte. Le ronronnement venait de la bétonnière déversant le ciment dans les coffrages. Quelques ouvriers au nez rougi par le froid regardèrent avec suspicion mon uniforme d'étudiant. Je leur jetai un coup d’œil rapide. Là s'arrêtèrent les politesses des frères humains que nous étions...
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Ce qui change le monde, c'est la connaissance.  Est-ce que tu comprends ? Rien d'autre, rien ne peut transformer le monde. La connaissance seule peut le changer, tout en le laissant tel qu'il est, inchangé. Vu sous cet angle, le monde est éternellement immuable, mais aussi en perpétuel changement. Tu me diras que ça ne nous sert pas à grand chose. N'empêche que pour rendre la vie supportable, on peut le dire, l'humanité dispose d'une arme, qui est la connaissance. Les bêtes n'ont pas besoin de ça. Parce que, pour elles, cela ne signifie rien : rendre la vie supportable. Mais l'homme, lui, connaît et se fait une arme de la difficulté même de supporter l'existence, sans que pour autant cette difficulté s'en trouve le moins du monde adoucie. Voilà tout.

   - Tu ne crois pas qu'il est d'autres moyens de rendre la vie supportable ?

   - Non, vois-tu. À part ça, il n'y a que la folie ou la mort.

   - La connaissance est totalement incapable de changer le monde..."

   J'avais laissé échapper ces paroles, frôlant dangereusement la confession. " le monde, continuai-je, c'est l'action qui le transforme, rien d'autre..." Comme je le prévoyais, Kashiwagi para le coup, avec ce sourire froid qui semblait collé à ses traits.

   " Crois-tu ? Tu dis : l'action. Mais ces choses belles pour qui tu as de la tendresse, ne vois-tu pas qu'elles n'aspirent qu'au sommeil sous la garde de la connaissance ? Un jour, nous avons parlé du chat de Nansen, ce chat d'une beauté incomparable. Si les deux clans de moines se sont disputés, c'est que les uns et les autres voulaient le protéger, le couver, le faire dormir douillettement - cela, au sein de la connaissance particulière de chacun. Le Père Nansen, lui, était un homme d'action : il ne fait ni une ni deux, trucide la bête et l'affaire est réglée. Arrive Chôshu, qui met ses sandales sur sa tête. Cela veut dire quoi ? Qu'il sait fort bien que la Beauté est chose qui doit rester endormie sous la protection de la connaissance, mais qu'il n'y a pas de connaissance INDIVIDUELLE, de connaissance PARTICULIÈRE à celui-ci ou à celui-là. Non ! La connaissance est pour les hommes un océan, une vaste lande, et l'ordinaire condition de l'existence. Voilà, je crois, ce que signifiait son geste. À présent, tu veux jouer les Nansen, hein ? Eh bien, cette beauté que tu aimes n'est que le fantôme de cet "autre moyen", dont tu parlais, "de rendre la vie supportable". On peut aller jusqu'à dire qu'une telle chose n'existe, en fait, pas. Mais ce qui donne tant de force à l'illusion, ce qui lui confère un tel caractère de réalité, c'est précisément la connaissance. Du point de vue de la connaissance, jamais la Beauté n'est consolation. Ce peut être une femme, ce peut être une épouse, ce n'est jamais une consolation. Cependant, du mariage de la connaissance et de cette Beauté qui n'est pas une consolation, quelque chose naît. Quelque chose d'éphémère, de pareil à une bulle, à quoi l'on ne peut absolument rien. Oui, quelque chose naît ; et c'est ce que les gens appellent l'ART. 
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C'était donc la mer du Japon! La source de tous mes malheurs, de mes pensées ténébreuses, de ma laideur et de ma force! Qu'elle était houleuse! Les vagues, sans repos, l'une suivant l'autre, roulaient vers la côte. Entre deux replis, on devinait la surface grise et lisse de l'abîme. Dans le ciel lugubre, au-dessus du large, les nuées entassées alliaient la délicatesse à la pesanteur; car leur masse lourde, sans frontières nettes, avait comme une frange de duvet froid, d'une insurpassable légèreté, qui emprisonnait ce qu'on pouvait prendre pour un coin de ciel bleu pâle. Les collines violettes du promontoire défiaient les flots de plomb. Chaque chose était prise dans un mélange d'agitation et d'inertie, de forces sombres jamais en repos et de reflets immobilisés dans un figement minéral.
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"Regarde derrière, regarde dehors : si nous nous rencontrons, tue sur l'heure!..."
Oui, c'était la première ligne du passage fameux du chapitre de l'Éclairement populaire, dans le Rinzairoku : la suite coula d'elle-même :
"Si tu croises le Bouddha, tue le Bouddha! Si tu croises ton ancêtre, tue ton ancêtre! Si tu croises un disciple du Bouddha, tue le disciple du Bouddha! Si tu croises tes pères et mères, tue père et mère! Si tu croises ton parent, tue ton parent! Alors seulement tu trouveras la Délivrance. Alors seulement tu esquiveras l'entrave des choses, et tu seras libre..."
Ces mots m'arrachèrent à l'impuissance où j'avais sombré. D'un seul coup, je sentis dans tout mon être une surabondance d'énergie. Une partie de moi s'obstinait bien à me répéter que ce que j'allais faire était maintenant sans utilité : ma force neuve ne redoutait pas cette inutilité. Parce que c'était inutile, je me devais d'agir.
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Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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