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Critique de gerardmuller


Les amours interdites. /Yukio Mishima
Beauté et éthique vont-elles nécessairement de pair ?
J'ai mis assez longtemps pour bien lire ce roman difficile jusqu'au bout. Difficile en raison du caractère complexe et composite des rapports ambigus entre des personnages qui ne vivent que d'intrigues souvent à couleur sexuelle. le style est simple mais précis et méticuleux ; pas de mots compliqués, mais beaucoup de mots décrivant le combat intérieur de chacun ; c'est la psychologie des personnages qui est subtile et sophistiquée et rend la lecture ardue. On entre alors dans un monde tout emprunt de violence, de complots, de duplicité et d'hypocrisie, de mensonges, de jalousie et de sous-entendus, en même temps que de préciosité, de courtoisie, de délicatesse, de sensualité et d'érotisme pudique. Dans toutes circonstances, le raffinement est de mise. L'analyse des sentiments des protagonistes est profonde, subtile, pointilleuse même et scrupuleuse.
Shunsuké l'écrivain misogyne d'une grande laideur, personnage essentiel qui croit en la toute puissance de la sensualité est le maître et se sert du jeune et beau Yuchui, l'élève avide de liberté pour assouvir de façon machiavélique sa vengeance à l'encontre des femmes. Yuchui est marié à Yasuko, a une maîtresse en la personne de Kyôko, mais est aussi homosexuel comme son maître. le couple infernal de Madame Kaburagi et de Nobutaka son mari qui ont chacun de leur côté une liaison un temps secrète avec Yuichi, vient compléter la relation trouble qui s'installe entre les différents protagonistes de ce jeu de dupes qui évoluent dans le milieu interlope d'une certaine aristocratie nantie de Tôkyô de l'après-guerre. L'immoralité n'enlève rien à la beauté et au raffinement du récit tout en filigrane et suggestions. Madame Kaburagi, autre personnage essentiel, femme d'un certain âge, prostituée notoire, aime la beauté et la jeunesse de Yuichi lequel ne l'aime pas et joue un jeu subtil froid et cruel sachant qu'avec elle l'ingénuité la moins affectée est la plus efficace des séductions. Peu de sentiments nobles ont leur place ici, et beaucoup de calculs derrière les fusuma.
N'oublions pas qu'un « séducteur ne cherche pas forcément une femme qu'il aime ». de même « le vice qui a perdu son éclat est cent fois plus ennuyeux que la vertu qui s'est ternie. » Et puis « la vertu née du désespoir a une force qu'aucune immoralité ne peut affecter ».
J'ai senti à certains moments des accents raciniens dans le discours de l'auteur : « Conscients de leur propre beauté, ils se savaient promis à un destin tragique. »
Les dialogues sont complexes et somptueux toujours dans la même perspective suggestive.
Dés le début du roman, le lecteur est mis au parfum et la réflexion de Shunsuké sur les femmes n'est pas tendre.
« Une femme ne peut rien produire sinon des enfants…Les femmes ne comprennent rien aux théories…Tout ce qu'elles captent, c'est l'odeur. Elles reniflent, comme des truies…Quel gâchis que de prétendre que l'homme doive être séduit par la femme ! »
Tout un chapitre de ce style ! Cela démarre fort et l'on sait à quoi s'en tenir quant aux tendances de Shunsuké
Et plus loin : « …Il faut considérer la femme comme de la matière. Il ne faut jamais lui reconnaître de l'esprit. »

« Son opinion (Shunsuké) était que l'oeuvre d'art contenait la duplicité de l'existence.
L'action se déroule ainsi en alternance avec des réflexions des acteurs sur les problèmes que leur crée leur vie décousue. Tout au long de ce roman, Mishima nous offre une lente et méthodique description du comportement des personnages que manipule de façon machiavélique Shunsuké dans son complot contre les femmes, tels des marionnettes.
« Shunsuké avait alors tenté de créer une oeuvre d'art idéale, telle que, de toute sa vie, il n'avait pu en concevoir. Une oeuvre d'art, suprêmement paradoxale, défiant l'esprit au moyen du corps et défiant l'art au moyen de la vie."
… « Dans l'amour qu'un artiste (Shunsuké) porte à son modèle (Yushui), le désir charnel et l'amour spirituel s'unissent si parfaitement que la frontière entre les deux finit par se perdre… »
Pour un hymne à la beauté, du grand art à la Mishima dont les grandes cultures classique et française transparaissent constamment dans ce magnifique récit dont les deux derniers chapitres atteignent les sommets. le destin de Mishima s'y dessine dans les dernières lignes.
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