Ma vie dans celle d'un inconnu

À l'époque, mon voisin, Philippe, occupait un vaste appartement situé deux étages au-dessus du mien. La première fois que nous avions lié connaissance, fut le jour de mon emménagement. Empêtrée dans mes cartons, que je tentais tant bien que mal de loger dans l'étroit habitacle de la cage d'ascenseur, je ne l'avais pas entendu descendre l'escalier. Son aide, qu'il m'avait alors si chaleureusement apportée, fut la bienvenue et eut raison de mon agacement. Je le revis plus tard dans le quartier et nous nous côtoyâmes davantage aux aléas de nos entrevues. C'était un garçon singulier, bien différent de ceux qui avaient croisé mon chemin auparavant. Légèrement enrobé, mais tout à fait à l'aise dans son corps, il me donnait l'impression de danser à chacun de ses pas, ce qui me l'avait rendu fort sympathique dès notre première rencontre. À cela s’ajoutait une mine bonhomme, un accent méridional et une apaisante jovialité qui m'avaient aussitôt conquise. Il me fallut peu de temps pour comprendre son penchant pour les hommes et je fus enchantée de son choix, car il me permettait des confidences, des audaces et des folies, telles que j'en avais espéré, mais jamais connu.
Son goût sûr et subtil me ravissait au plus haut point. Je lui avais d'ailleurs demandé conseil quant à l'agencement et la décoration de mon studio, ce qu'il avait accepté avec un vif plaisir. Il demeurait à mes yeux plus qu'une connaissance, il représentait sans conteste le grand frère que je n'avais pas eu. À son égard, je ressentais une tendresse toute particulière, qui n'avait rien d'égal à celle éprouvée vis-à-vis de mes parents, ni même perçue auprès d'un ami. Non sans une immense nostalgie, je me revois, insouciante et sans entraves, poser ma tête sur son épaule, tandis qu'il s'épanchait à loisir tout à la fois sur ses amours, ses déboires et ses regrets, comme si c'était hier. Je détenais la clef de ses secrets les plus intimes. Aucune honte n'embarrassait nos confessions, aucune timidité, rien ne retenait ce profond besoin que nous avions de nous livrer.