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Critique de Alzie


L'art n'a pas forcément besoin d'une énorme "somme" pour se manifester avec éclat, ce petit ouvrage en est la preuve. Sans doute la vie et l'oeuvre d'Andrea Mantegna (1431-1506) s'y prêtent-elles particulièrement, tant elles se coulent à merveille dans la conception remarquablement claire et attractive de cet opuscule que les éditions "A Propos" lui consacrent. Une première étape, très accessible et de grande qualité, pour qui s'intéresse à l'histoire de l'art ; des repères essentiels ; des arrêts sur image ou focus très heureux pour ce qui est de l'iconographie ("L'adoration des mages" vers 1500, en couverture) ; des pistes pour des analyses ou des réflexions plus avancées, Anne-Sophie Molinié, auteur du texte, enseigne l'histoire de l'art à Paris Sorbonne (IV).

Déjà perçu par ses contemporains comme l'un des artistes les plus fameux de son temps, le Quattrocento, Mantegna offre l'exemple, parmi d'autres non moins connus, d'un artiste itinérant qui met son talent, ainsi que ses ambitions, au service d'une cour princière, celle de la famille Gonzague à Mantoue pour ce qui le concerne. Quatre chapitres scandent l'histoire de ce peintre étonnant, de sa naissance dans une famille très modeste et de ses premières années de formation artistique à Padoue, à sa mort à l'âge de 75 ans, à Mantoue. Quatre périodes précédées à chaque fois d'une chronologie enrichie des événements culturels, politiques, économiques et sociaux concomitants, viennent contextualiser l'oeuvre. Un cinquième vient conclure en s'attachant à l'un des aspects plus singulier du travail de l'artiste, son oeuvre graphique, dessins, esquisses et gravures, indissociable de sa pratique picturale. Ces pièces bientôt recherchées par les collectionneurs ou même copiées, par Dürer notamment, permettront la diffusion de sa pratique dans toute l'Europe humaniste.

A Padoue où il entre, à onze ans, en apprentissage chez son maître Francesco Squarcione, le jeune Andrea apprend le dessin et la sculpture, il rencontre Paolo Ucello (1397-1475) et se familiarise avec les innovations du grand Donatello (1386-1466). Installé à son compte dès 1447, il cultive très tôt un goût puissant pour l'héritage de l'Antiquité qui ne cessera jamais d'irriguer son inspiration et magnifiera son oeuvre. Il reçoit rapidement des commandes importantes, mais ce sont les fresques de la chapelle Ovetari, sur lesquelles il travaille de 1448 à 1457, qui le font connaître au-delà de Padoue. Ses constructions savantes, de perspectives, et l'illusionnisme créé par ses compositions "modernes", subjuguent les contemporains, et plus tard Vasari, mais "L'Assomption de la vierge en présence des apôtres" (huit, quand le commanditaire en voulait douze), lui vaudra un procès où il obtiendra cependant gain de cause. Il épouse la fille du peintre Jacopo Bellini, renforçant des liens déjà étroits avec ce que la Vénétie compte de mieux en peinture. On admire l'extraordinaire "Présentation de Jésus au Temple" (vers 1454), une détrempe à la colle sur toile et surtout le retable de San Zeno (1457-1459) qui nécessite deux ans de travail, toujours visible à la basilique du même nom à Vérone, et dont le modèle s'impose ensuite partout en Italie du nord tant sa conception et sa vision sont novatrices. Les trois parties de la prédelle sont dispersées dans des musées français (Tours et Paris).

Ludovico Gonzague, marquis de Mantoue, fait des offres à Mantegna depuis 1456 : "un salaire généreux, un logement, des vivres et du bois de chauffage, la charge de peintre de cour, une pièce de damas pourpre brodée d'argent pour sa livrée, l'usage des armoiries des Gonzague", que ce dernier finit par accepter, s'installant à Mantoue en 1459 avec sa famille. Mantoue est un foyer d'humanisme où Dante et Pétrarque ont fait leurs études. Mantegna y rencontre probablement Alberti dont les recherches sur la perspective le fascinent. Des oeuvres de cette époque, beaucoup ont disparu. Restent certains portraits, parfois marmoréens, qui ne visent pas l'idéalisation mais une forme d'expressivité tout à fait nouvelle, ou des tableaux religieux.

C'est la Camera picta ou Chambre des Epoux (Ludovico et sa femme barbara de Brandebourg), commencée en 1465 et achevée neuf ans plus tard qui marque véritablement le passage de Mantegna à Mantoue. Cette pièce, peinte à fresque, du Castello San Giorgio, la Camera Degli Sposi, glorifie, au milieu d'un décor à l'antique, des situations où Ludovico et sa cour sont mis en scène dans une époustouflante création en trompe-l'oeil due au génie artistique de Mantegna : "Au centre, l'illusionnisme perspectif est à son apogée avec l'oculus (oeil de boeuf) qui semble ouvrir sur le ciel" p."30-31. "La Déploration du Christ", vers 1475, encore plus spectaculaire dans son raccourci morbide, démontre s'il le fallait encore l'incroyable virtuosité de cet artiste détonnant qui invite ses contemporains à une expérience esthétique unique en les faisant participer à la création qu'il leur donne à voir. La perspective est au XVe siècle une source inépuisable de découvertes et de plaisirs.

A la mort de Ludovico, son fils francesco puis son petit-fils Federico, reconduisent le peintre dans ses fonctions à la cour. le "Saint Sébastien" (1480-1481) détrempe à la colle, aujourd'hui au Louvre est de cette période. Un autre grand cycle voit également le jour à ce moment là : celui des triomphes De César, conservé aujourd'hui au Palais d'Hampton Court. Thème antique, cher au peintre et traité en neuf immenses toiles à la détrempe, d'une procession triomphale accompagnant César après sa conquête de la Gaule. Mantegna, dont la célébrité est désormais acquise, effectue ensuite de 1488 à 1490, un voyage à Rome sur invitation du pape Innocent VIII à décorer la chapelle de sa résidence du Belvédère. Décors perdus car la chapelle est détruite au XVIIIe siècle. de retour à Mantoue, il réalise une somptueuse "Vierge de la victoire", retable votif, qui célèbre la défaite des Français à Fornovo face aux mercenaires de Francesco en 1495.

Isabelle d'Este, éduquée à Ferrare, a épousé Francesco Gonzague en 1490. Collectionneuse avertie, elle est l'une des premières à posséder un "studiolo" et en confie la décoration à Mantegna. "Mars et Venus" dit le Parnasse, tempera sur toile vers 1497-1502, et "Le Triomphe de la vertu", tempera sur toile de 1502, deux oeuvres que l'on peut également admirer au Louvre et où le maître adopte une manière moins sévère, viennent honorer cette commande de la marquise, dont le goût se porte ensuite sur d'autres peintres. Les difficultés financières et la maladie attristent la fin de la vie de Mantegna. Il doit se séparer de son imposante maison et laisse un monument funéraire dominé par un buste en bronze le représentant et sculpté de sa main.

Après Masaccio, Paolo Ucello, Piero della Francesca, Mantegna ouvre une postérité où s'inscrit presque aussitôt le génie de Léonard et où puiseront beaucoup plus tard Poussin, Rubens et bien d'autres encore. Une lecture qui m'a donné envie d'aller comprendre d'un peu plus près ce qui s'est passé du côté de la perspective au début du XVe siècle dans le milieu artistique florentin.

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