Fabien, sidéré, réagit enfin. Il fit tourner la clé de contact pour démarrer le blindé, chercha le levier de vitesse et cala en essayant de passer la première. Immédiatement, une rafale ricocha sur la portière passager, atteignit le pare-brise qui s'étoila dans un fracas assourdissant. Le convoyeur se jeta au sol en hurlant de toutes ses forces, les paumes écrasées sur les oreilles. Les balles cognaient sur le blindage comme une averse de grêle, il recroquevilla son mètre quatre-vingt-dix sous le volant pour se protéger. Bouche ouverte, il se sentit suffoquer, son sang geler dans ses veines. Son cœur menaçait d'exploser quand l'ondée cessa, d'un seul coup. Incapable de bouger, Fabien inspira profondément pour calmer le staccato de son cœur et écouta. Des claquements de portières et des crissements de pneus résonnèrent au-dehors, le cri d'une femme retentit brièvement, puis le silence s'imposa, comme une délivrance.
Après le perte de son innocence, la patience est la première vertu qu'on acquiert en PJ. L'attente interminable avant qu'une porte ne s'ouvre ou qu'une voiture démarre enfin. Au fil des années, les heures de planque finissent par rythmer le quotidien, mais c'est l'espoir d'une interpellation et la dose d'adrénaline qui va avec nourrit la persévérance.
Mais rien ne vint troubler le sentiment de puissance qui l'enveloppait. La trahison était un art qui lui plaisait. Un délicieux besoin de vengeance et de pouvoir. Il avait conçu son plan avec autant de minutie que de haine, et lorsque toutes les pièces s'emboiteraient, que le piège qu'il avait conçu s'ouvrirait sous leurs, il se délecterait de les voir se détruire entre eux.
S'il voulait être tranquille et profiter d'une protection policière efficace, il fallait bien qu'il lâche parfois une information utile. Mais pour durer, il devait la distiller. Ni trop, ni trop peu. Ni trop lentement, ni trop vite. Une maxime écrite pour les indics.
Tous les hommes ne mûrissaient pas, certains vieillissaient directement.
Un nuage de sang se forma autour du corps désarticulé et Fabien vit Manu tendre une main vers le canon du fusil d’assaut qui le menaçait, l’autre crispée sur les deux sacs de fric qu’il n’avait pas lâchés. Une rafale lui sectionna la jambe droite au-dessus du genou, déchira son gilet pare-balles du bas-ventre jusqu’à l’épaule gauche et il s’écroula à son tour sur le trottoir.
Il était dix heures et seize minutes.
Sur les ondes de France Inter, l’animateur venait de clore le journal de dix heures en annonçant que le périphérique était saturé. Mais ça, Fabien Chassagne le savait déjà. Il soupira en abaissant la fermeture éclair de sa veste d’uniforme pour chercher un peu d’air. La climatisation du fourgon blindé venait tout juste d’être réparée, pourtant il suffoquait depuis qu’ils avaient quitté le centre-fort. Après dix bonnes minutes à l’arrêt, la circulation reprit lentement. Il serra un taxi qui tentait de forcer le passage pour la troisième fois malgré ses coups de klaxon. Après un coup d’œil à l’horloge du tableau de bord, il se mit à cogiter. S’il se fiait à leur feuille de route, ils avaient déjà plus d’une heure de retard sur l’itinéraire, et la journée commençait à peine.
Le commissaire Renan Pessac avait participé à suffisamment d’autopsies pour pouvoir le deviner avant même de franchir la porte de la salle d’examen. Au mieux, lorsque la décomposition n’était pas trop avancée, les corps diffusaient une odeur de renfermé, de négligé. Et puis, rapidement, ils exhalaient celle de la chair macérée dans le sang et les excréments.
Le terme d’autopsie vient du grec autopsia, qui signifie voir de ses propres yeux.
Le couloir de la morgue sentait le désinfectant industriel. Un détergent parfumé, censé rappeler l’odeur du pamplemousse, mais qui ne parvenait pas à masquer l’arôme à la fois doux et âcre de la putréfaction des corps.