INES
J'accepte de devoir mépriser l'univers entier, mais non mon fils. Je crois que je serais capable de le tuer, s'il ne répondait pas à ce que j'attends de lui.
FERRANTE
Alors, tuez-le donc quand il sortira de vous. Donnez-le à manger aux pourceaux. Car il est sûr que, autant par lui vous êtes en plein rêve, autant par lui vous serez en plein cauchemar.
INES
Sire, c'est péché à vous de maudire cet enfant qui est de votre sang.
FERRANTE
J'aime décourager. Et je n'aime pas l'avenir.
Ah ! malheur ! malheur ! Marié ! et à une bâtarde ! Outrage insensé et mal irréparable, car jamais le Pape ne cassera ce mariage; au contraire, il exultera, de me voir à sa merci. Un mariage ? Vous aviez le lit : ce n'était pas assez ? Pourquoi vous marier ?
Voila les hommes : toujours à craindre le ridicule, et à le craindre là où il n’est pas.
C’est une faiblesse que faire la chose la plus rapide, la plus brutale, celle qui demande le moindre emploi de l’individu. Ainsi il y a des galants qui préfèrent brusquer une femme inconnue, au risque d’en recevoir un soufflet, à lUi adresser la parole : on les prend pour des forts, et ce sont des timides.
Acte premier
Premier tableau
Une salle du palais royal, à Montemor-O-Velho
Scène première
Le roi Ferrante, L'infante, L'infant, Don Christoval,
trois dames d'honneur de l'infante, quelques grands
L'infante
- Je me plains à vous, je me plains à vous, Seigneur ! Je me plains à vous, je me plains à vous ! Je marche avec un glaive enfoncé dans mon cœur. Chaque fois que je bouge, cela me déchire.
Première dame d'honneur (chuchoté, aux autres dames d'honneur)
- La pauvre ! Regardez ! Comme elle a mal !
Seconde dame d'honneur
- Elle est toute pétrie d'orgueil. Et c'est son orgueil que ce glaive transperce. Oh ! comme elle a mal !....
(lever de rideau de l'édition parue chez "Folio" en 1972)
INES
Est-ce qu'on peut tuer pour quelque chose que l'on ne croit pas?
FERRANTE
Bien sûr, cela est constant. Et même mourir pour quelque chose que l'on ne croit pas. On meurt pour des causes auxquelles on ne croit pas, comme on meurt pour des passions qu'on n'a pas, et pour des êtres qu'on n'aime pas. Les Africains que j'ai vu en Afrique adoraient les pierres et les sources. Mais qu'on leur dit que l'Islam était menacé, ils se levaient et ils allaient périr dans la bataille pour une religion qui n'était pas la leur.
Je me dois à ce que j'aime et qui m'aime et ne m'y dois pas à moitié.
Treize ans à être l’un pour l’autre des étrangers, puis treize ans à être l’un pour l’autre des ennemis : c’est ce qu’on appelle la paternité.
Chaque fois qu'on me loue, je respire mon tombeau.
Il y en a qui disent qu'un vieillard doit être rigoureux parce qu'il lui faut aller vite .Et encore ,que la cruauté est le seul plaisir qui reste à un vieillard ,que cela remplace pour lui l'amour.