Inès : II redoutait cette colère.
Ferrante : II savait bien qu'un jour il devrait la subir, mais il préférait la remettre au lendemain, et sa couardise égale sa fourberie et sa stupidité. Il n'est plus un enfant, mais il lui est resté la dissimulation des enfants. A moins que... à moins qu'il n'ait compté sur ma mort. Je comprends maintenant pourquoi il se débat contre tout mariage. Je meurs, et à l'instant vous régnez ! Ah ! j'avais bien raison de penser qu'un père, en s'endormant, doit toujours glisser un poignard sous l'oreiller pour se défendre contre son fils. Treize ans à être l'un pour l'autre des étrangers, puis treize ans à être l'un pour l'autre des ennemis : c'est ce qu'on appelle la paternité. (Appelant) Don Félix ! Faites entrer don Christoval, avec trois officiers. Madame, ce n'est pas vous la coupable, retirez-vous dans vos chambres : on ne vous y fera nul mal Don Félix, accompagnez dona Inès de Castro, et veillez à ce qu'elle ne rencontre pas le Prince.
Inès : Mais don Pedro ? Oh ! Seigneur, pour lui, grâce !
Ferrante : Assez !
Inès : Dieu ! il me semble que le fer tranche de moi mon enfant.
Ferrante : Don Christoval je vous confie une mission pénible pour vous. Avec ces trois hommes de bien, vous allez arrêter sur-le-champ le personnage que j'ai pour fils. Vous le conduirez au château de Santarem, et vous l'y détiendrez jusqu'à ce que j'aie désigné qui le gardera.
Don Christoval : Seigneur ! Pas moi ! Un autre que moi !
Ferrante : Vous, au contraire, et nul autre que vous Cela vous fait souffrir ? Eh bien, maintenant il faut que l'on commence à souffrir un peu autour de moi.
Je hais le vice et le crime. Mais, en regard de la naïveté, je crois que je préfère encore le vice et le crime.
FERRANTE
C'est le sort des hommes qui se contraignent à l'excès, qu'un jour vient où la nature éclate ; ils se débondent, et déversent en une fois ce qu'ils ont retenu pendant des années. De là qu'à tout prendre il est inutile d'être secret.
FERRANTE - Vous croyez que ce que je vous reproche est de n'être pas semblable à moi. Ce n'est pas tout à fait ca. Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire.
Ne faites pas l'éloge de la mollesse : vous me blessez personnellement
L'INFANTE - Plutôt perdre que supporter
L'INFANTE
Je me plains à vous, je me plains à vous, Seigneur! Je me plains à vous, je me plains à Dieu! Je marche avec un glaive enfoncé dans mon coeur. Chaque fois que je bouge, cela me déchire.
PREMIERE DAME D'HONNEUR, chuchoté, aux autres dames d'honneur.
La pauvre! Regardez! Comme elle a mal!
SECONDE DAME D'HONNEUR
Elle est toute pétrie d'orgueil. Et c'est son orgueil que ce glaive transperce. Oh! comme elle a mal!
TROISIEME DAME D'HONNEUR
Ah! elle est de Navarre!
L'INFANTE
Vous êtes venu, Seigneur, dans ma Navarre (que Dieu protège!) pour vous entretenir avec le Roi mon père des affaires de vos royaumes. Vous m'avez vue, vous m'avez parlé, vous avez cru qu'une alliance entre nos couronnes, par l'instrument du Prince votre fils, et de moi, pouvait être faite pour le plus grand bien de ces couronnes et pour celui de la chrétienté. Vous deux, les rois, vous décidez d'un voyage que je ferai au Portugal, accompagné de l'Infant, mon frère, peu après votre retour. Nous venons, nous sommes reçus grandement. La froideur du Prince, à mon égard, ne me surprend ni me m'attriste. J'avais vu plus loin ; au-delà de lui, je voyais l'oeuvre à faire. Trois jours se passent. Ce matin don Pedro, seul avec moi, me fait un aveu. Il plaide n'avoir su vos intentions qu'à votre retour de Navarre, quand il était trop tard pour revenir sur notre voyage. Il me déclare que son coeur est lié à jamais à une dame de votre pays, dona Inès de Castro, et que notre union n'aura pas lieu. (...)
L'INFANTE: Quelle impression vous a-t-il faite ? (Geste vague, prudent, d'Inès. ) Eh bien, je vais vous le dire. La chaîne de vos médailles a appuyé sur votre cou, et l'a marqué d'une raie rouge. C'est la place où vous serez décapitée.
INÈS: Dieu!
L'INFANTE: Les princes mettent des lions sur leurs armoiries, sur leurs oriflammes. Et puis un jour ils en trouvent un dans leur cœur. [...]
ACTE II — SCÈNE V
Car il devenu un homme, c’est-à-dire la caricature de ce qu’il était. Vous aussi, vous verrez se défaire ce qui a été votre enfant. Jusqu’à ce qu’il n’en reste pas plus en vous que n’est restée cette page où pour la première fois, à cinq ans, le mien écrivit son prénom, cette page que je conservai durant des années, et qu’enfin j’ai déchirée et jetée au vent.
Une menace, une promesse, une insolence, une courtoisie : cette balance est celle des affaires.