Le convoi de la mauvaise chance

Il est généralement admis que le Troisième Reich n'aurait sans doute pas été vaincu sans les sacrifices colossaux consentis par l'URSS. Ce qu'on sait moins, c'est que l'URSS n'aurait probablement pas tenu le coup sans les millions de tonnes de matériel fourni par les États-Unis, qui lui permirent de faire la soudure lors des terribles années 1942 – 1943, quand l'armée rouge semblait proche de l'effondrement. 15 000 avions, 7000 chars d'assaut, de la nourriture, des locomotives, de l'acier (de bien meilleure qualité que celui produit par le paradis des prolétaires), des explosifs… Et plus important que tout 375 000 camions, qui jouèrent un grand rôle dans la logistique soviétique. Certains types d'appareils, comme le chasseur Bell P 39 Airacobra, servirent même presque exclusivement sur le front Est.

Mais pour faire passer tout ça en Russie, il n'y avait que trois routes : par le Pacifique, avec des délais de transferts importants ; par la Perse, au prix de beaucoup d'essence ; et la route la plus directe mais la plus dangereuse, par l'Arctique. Partant d'Angleterre, les convois devaient rallier les ports de Mourmansk par des températures moyennes de – 20° et en bravant les tempêtes violentes de la zone. Ils étaient également la proie des sous-marins et des avions allemands basés en Norvège ; la Kriegsmarine engagea même contre eux ses précieux cuirassés lourds. Conséquemment, les pertes furent souvent faramineuses ; le plus célèbre d'entre eux, le convoi PQ 17, vit 26 de ses navires coulés sur un total de 37. Il y eut au total 78 convois, dont les approvisionnements contribuèrent notamment au sauvetage de Leningrad.

Ce vieux roman nous immerge dans l'ambiance des navires affectés à cette tâche ingrate mais essentielle. le convoi qu'il décrit est fictif, mais reconstitué de manière extrêmement minutieuse et réaliste. Les personnages sont très nombreux, et vont de l'amiral au mécanicien du cargo le plus vieux et rouillé de la flotte, en passant par l'officier de navigation, les pilotes du porte-avion d'escorte, un marin ayant déjà vécu un torpillage… Chacun avec sa personnalité, sa famille qui l'attend (ou non), etc. Les conditions de navigation sont fidèlement reconstituées, tout comme la vie à bord des navires.

Les attaques sont bien entendu le point culminant, mais là encore qu'on ne s'attende pas à de l'action trépidante. Pour l'essentiel, une longue attente nerveuse, d'interminables échanges d'ordres et d'indications par radio, de longues et fastidieuses manoeuvres pour essayer de coincer un sous-marin qui n'est qu'un minuscule écho sur un sonar… Et soudain, avant que personne ait compris quoi que ce soit, un cargo explose et il n'y a plus qu'à essayer de repêcher quelques rares survivants.

Tout de même, l'auteur pimente un peu l'histoire avec quelques éperonnages de sous-marins (manoeuvre vraiment effectuée pendant la guerre mais très rare) et un climax avec un cuirassé visiblement inspiré du ‘Tirpitz'. Il faut bien en offrir un peu au lecteur. Pour autant, la reconstitution est excellente, et peu de livres s'étant plongés dans cette facette peu connue de la seconde guerre mondiale, je le recommande toujours.