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Critique de nadejda


«Sept heures du matin c'est tôt pour un rendez-vous d'amour»
Au cours du chapitre qui suit cette première phrase, Paul Morand nous fait découvrir par approches successives la personnalité et le cadre de vie du commandant Gardefort, ancien écuyer du Cadre noir de saumur. Il distille avec art, les réflexions que suscite toute la préparation fébrile et soignée de sa personne. L'examen lucide qu'il fait de lui-même laisserait penser qu'il va à la rencontre d'une femme.
Gardefort se prépare à accueillir Milady.
«...Une flamme de bonheur passe dans ses yeux bleus ; d'une intonation très douce et très mâle, comme s'il s'efforçait de tempérer un reproche, Gardefort lance un appel à haute voix...
A peine a-t-il parlé que la sonnette retentit.... 
...est-ce une farce de gamin rentrant de l'école ? Non, car le commandant Gardefort a souri ; il rit même ; il éclate de rire en sautant à bas de l'escalier qui conduit à la rue. La porte, il l'ouvre brusquement. Dans le grand cadre clair de la Loire, libéré par les deux batants ouverts, une fine et haute silhouette se découpe sur le ciel maintenant sans nuages.

--- Milady !

Comme chaque matin, elle est là. Mais chaque matin il l'attend comme si elle ne devait jamais revenir...

--- Sept heures, disent les habitants du voisinage. Voilà la jument Milady qui tire la sonnette du commandant»

C'est à une relation passionnelle et fusionnelle, une joute amoureuse entre le cavalier et l'animal où chacun se mesure à l'autre, que nous sommes conviés. 

«C'était d'abord un combat, où la jument savait qu'elle succomberait, où elle désirait d'ailleurs succomber, une lutte qui commençaient dans l'espièglerie, dans la ruse et se continuait dans la rage, pour se terminer dans une sorte de pâmoison soumise, de détente complète où l'un et l'autre trouvaient leur plaisir.»

« --- Comme elle est belle au passage ; elle semble repousser le sol et mépriser la terre qui la porte ! se disait Gardefort avec orgueil
Ils se promenèrent ainsi longtemps, presque sur place, sans parler, comme un homme et une femme enlacés se tiennent par la main, elle, protégée, soutenue, lui, la jambe près, la main délicate et comme à l'écoute de la bouche. Ce dialogue se prolongea. Il la respirait, il sentait monter son odeur échauffée et il savait qu'elle n'était pas moins sensible à la sienne ; quand il s'absentait, il lui laissait toujours dans sa mangeoire un vieux pyjama de pilou dans lequel il transpirait les jours d'attaque paludéenne, pour qu'elle ne se déshabituât pas de lui.»



Cette union de Gardefort et de Milady est inoubliable. L'écuyer, au caractère entier, intransigeant dans son respect de la tradition équestre, aime Milady comme un femme, plus qu'une femme, puisqu'il divorce de la sienne exaspéré par son incapacité à monter correctement en suivant ses conseils. Seule compte pour lui Milady dont il a su découvrir et mettre en valeur les qualités et qui est à la hauteur de son exigence.

«Qui eût reconnu dans cette jument puissante, au dos soutenu, au flanc bien relié, aux pieds de bonne nature, l'animal terne et mal gauchi dont le comité d'achat n'avait pas voulu ?»
Comment dans ses conditions, Gardefort pourrait-il accepter d'en être séparé ? 
Il va y être contraint par un besoin cruel d'argent, pressé par le temps, personne ne voulant lui prêter les cinquante mille francs qui lui sont réclamés par Maître Hareng, notaire chargé de régler son divorce. 
Il sera amené à vendre Milady et il ne pourra se le pardonner.
Ne supportant pas qu'elle appartienne désormais à un autre que lui, un autre indigne de la monter, il l'entraînera avec lui dans la mort.

Gardefort a été incarné de manière magistrale par Jacques dufilho dans un téléfilm d'une qualité qu'on ne connait plus actuellement, diffusé pour la première fois le 21 juillet 1976, deux jours avant le décès de Paul Morand ; ce qui peut sembler troublant car cette nouvelle, écrite au cours de l'été 1935, donne l'impression que Paul Morand s'est rassemblé pour donner dans un jaillissement, le meilleur de lui-même.
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