Citations sur Comment trouver l'amour à 50 ans quand on est parisienn.. (20)
Bien entendu, elle avait eu, au long de sa carrière en Seine-Saint-Denis, beaucoup d'élèves noirs. Elle avait appris sur le tas, comme tous les profs lâchés dans cette arène, à faire la différence entre les Antillais et les Africains, à ne froisser les sensiblités ni des uns ni des autres, même quand elle devait aplanir les différends et interdire les insultes qui fusaient.
"Esclaves", disaient en substance les Africains aux Antillais, "sauvages", répondaient les Antillais aux Africains, en termes moins choisis.
Elle avait entendu le mot de "toubab", dont elle savait qu'il signifiait "Blanc", mais pas au juste dans quel pays.
Elle portait comme tous les Français, le complexe de la colonisation tel un fardeau.
J'ai passé 30 ans à lutter contre moi-même, se disait-elle froidement, lucide. J'ai façonné mes goûts, choisi mes lectures, raffiné mes gestes et ma voix, travaillé mon image. J'ai vécu ma vie de Parisienne. Et maintenant ? se demandait-elle. Et maintenant ? J'en suis réduite à être troublée par mon plombier, de 25 ans mon cadet.
La petie amie de Dimitri Diop, Gladys Delgado, avait en effet rompu le jour même à 13h12 exactement. Dimitri prenait sa pause déjeuner sur son chantier du Marais, près du musée Picasso. Il était descendu dans le petit square à l'arrière de l'hôtel Salé, avait sorti son sandwich du papier-alu et s'apprêtait à y mordre à pleines dents quand la sonnerie de son portable l'avait averti de la réception d'un SMS; Le sandwich dans la main droite, il avait attrapé son téléphone de la main gauche, avait déverrouillé le clavier et lu le message suivant:
Dim, G+ la force. Ne lm'en veux pas. C fini. Glad.
"Une de perdue, dix de retrouvées" se disait-il, sans savoir si cela voulait vraiment dire quelque chose.
« C'est étrange, se disait-il, que l'on aime les gens, qu'ils disparaissent, et que l'on continue à les aimer, mais dans sa tête, pour soi, sans le leur dire . Comme si le fait de ne plus être en contact n'enlevait rien à leur présence. » (p.155-156)
Il regarda autour de lui les habituels membres du club, public éclectique et improbable. Il l'avait remarqué déjà.
Le Club Med Gym était le seul endroit de la ville, pensait-il, où se côtoyaient les Maghrébins, les Noirs, les chômeurs et les homosexuels.
Tous ces hommes s'y retrouvaient dans une espèce de complicité inavouée, concrétisée dans les muscles qu'ils se faisaient pour asseoir leur place de mâles dans une société dirigée par des cadres blancs hétérosexuels.
Il savait bien, que ni lui ni les autres hommes présents au club, n'étaient des mâles alpha.
La "confraternité des laissés-pour-compte" aurait dit son père, avec son vocabulaire de professeur appliqué.
"La communauté des gentils losers" se disait quant à lui Dimitri Diop.
Et puis, il savait que des idées préconçues sont attachées à l'odeur des roux ou des Noirs. " La couleur et l'odeur, se disait-il, le racisme de bases des ignorants et des imbéciles. "
"Ça m'écoeure,! " se disait de son côté Natacha Jackowska. Sa mère ne reposerait donc pas comme un gisant, allongée sur le dos, les mains jointes sur le ventre. Non, la position serait humiliante pour l'éternité. Sa mère, de toute façon, n'avait jamais été comme tout le monde. Elle était énorme. Un phénomène. Le cercueil, de la plus grande taille disponible dans les stocks municipaux, était plein de son corps, non pas comme un lit, mais comme un baquet. Et Natacha Jackowska avait cette vision en tête. Sa mère liquide. Emplissent le cercueil jusqu'au couvercle, heureusement étanche, jusqu'aux rebords, comme une tortue trop grasse,"
"Aurais-je été une autre, habillée autrement ? se demanda Catherine Tournant. Se peut-il que les vêtements agissent comme la peau ? Que la surface modifie l'intérieur au lieu de le cacher ? "
Mes choix sont devenus des interdits.
C'est étrange, se disait-il, que l'on aime les gens, qu'ils disparaissent, et que l'on continue à les aimer, mais dans sa tête, pour soi, sans le leur dire.