... Quoi qu'il arrive, je ne veux pas que l'Américain découvre que le vieux Hiroshima vis encore. Pour nous il y a une autre ville, et l'ancienne population, brulée ou dispersée, vit encore dans des taudis que les étrangers ne voient jamais.
Il faut aussi que je retrouve maman. Loin devant moi, aperçois la ligne noire du fleuve et des ombres qui plongent dans ses eaux. Comme des torches vivantes, les cheveux en flammes, les femmes s'élancent du rivage en grappes serrées. Est-ce-que maman est parmi elles ? Où est maman, où est-elle ?
... Et brusquement, jai l'impression de ne plus être seule, que partout autour de moi, il y a des gens qui courent, qui courent... Ah oui, ce sont les fantômes. Il y a quinze ans, je courais aussi dans les rues au milieu de la foule éperdue, et pendant quinze ans, ils ont continué à courir dans ma tête. Cette nuit, ils me poursuivent avec leurs visages carbonisés, avec les lambeaux de chair arrachés de leurs épaules. Je les reconnais. Ce sont eux que je vois dans mon cauchemar. Cette fille au visage rongé par les flammes, cet homme qui porte sa femme morte sur son dos, ils couraient avec moi ce jour-là. Ici, c'est un groupe d'écoliers, écroulés les uns sur les autres, tous morts. Là, c'est un chien, les pattes prises dans l'asphalte fondu. C'est ce qui nous attend tous si nous ne courrons pas assez vite. Vite, vite, ou nous serons rôtis vivants.
De plus, il y a la question des enfants. Quelle sorte d'enfants la belle Ohatsu mettra- t-elle au monde ? Hein ? On parle tant à Hiroshima aujourd'hui de ces étranges créatures mises au monde par les rescapés de la bombe atomique. [...] pour vous dire qu'il n'y a pas de temps à perdre, pas une minute à perdre.
J'adore le petit matin. Le jour appartient à tout le monde, mais l’aube n'appartient qu'à soi.
Les hommes sont comme les enfants : ils oublient tout dès qu'on leur parle d'autre chose.
Je ne peux m’empêcher de penser que nos manières japonaises sont supérieures aux autres, bien que mon ami qui m’a enseigné l’anglais ait essayé de m’expliquer qu’elles n’étaient pas supérieures, mais seulement différentes.
Nous sommes des enfants de la bombe et nos enfants sont aussi des enfants de la bombe. Nous sommes marqués pour des générations.
"Comme tant de jeunes gens d'Hiroshima qui ont connu d'atroces expériences pendant leur enfance, elle paraît toujours à deux doigts de la folie."
...Musée de la bombe atomique...
Visiter ce musée, disent aujourd'hui les survivants, c'est comme visiter sa propre tombe. (39)