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Critique de jmb33320


« En tout temps, on a fait ce qu'il y avait à faire avec les matériaux qu'on avait à portée de main et, désormais, ce sont les déchets, la ferraille, les détritus que l'on trouve le plus. Vous devrez donc vous en servir pour écrire le poème, qui sera peut-être très long et nécessitera beaucoup de matière première, mais il n'y a aucun risque qu'elle s'épuise. Bien au contraire : plus le temps passe et plus cette richesse s'accumule, de grandes cordillères, des Everest de déchets qui deviennent plus hauts à chaque minute qui passe, des dépotoirs de mots, des décharges de la taille d'océans, d'ailleurs les océans eux-mêmes sont une gigantesque décharge, des courants marins d'ordures qu'on verra de l'espace comme les tempêtes et les tornades. Ce poème exigera une longue immersion, peut-être toute une vie. Celle de la personne qui l'écrira et de la personne qui le lira. Il sera probablement anonyme et accumulatif, un dépôt et un assemblage de matériaux beaucoup plus anciens, comme les poèmes homériques. Et il ne devra contenir aucun vers, aucune phrase, aucun mot qui serait une invention personnelle de son ou de ses auteurs, si tant est qu'on puisse employer ce mot dans ce cas de figure. »

Ce livre inclassable mais puissamment littéraire, nous l'avons entre les mains et le lisons. L'auteur y utilise en effet des textes issus d'injonctions publicitaires, des collages graphiques qui reflètent parfaitement la très grande folie et les innombrables contradictions de nos sociétés marchandes basées sur l'accumulation, de déchets comme de capitaux.

La forme est visiblement éclatée et pourtant substantielle. Chaque courte séquence débute par une formule publicitaire ou un titre de fait-divers. Des dessins de l'auteur, des collages, rompent régulièrement la lecture.
L'auteur vit une période de crise personnelle. C'est l'année des attentats de Nice, de la folie Pokémon-Go. Seules ses longues déambulations dans de grandes villes l'apaisent et lui fournissent de la matière pour ce livre en construction. Il documente ses errances grâce à son smartphone (sons et images) mais a toujours avec lui un cartable-sac à dos qui contient aussi des cahiers et crayons à papier (il en est maniaque).

Un étrange homme apparait régulièrement, possiblement une hallucination qui le hante. Antonio Muñoz Molina met aussi et surtout ses pas dans ceux d'illustres prédécesseurs, eux-aussi « déambulateurs chroniques », aux vies marquées par la misère et les addictions (Thomas de Quincey, Edgar Allan Poe, Baudelaire, Walter Benjamin…). C'est à mon sens ce qui unifie tous ces textes qui sinon pourraient sembler décousus.

Rarement j'ai autant éprouvé ce sentiment, pourtant recherché par beaucoup de lecteurs, que ce livre s'adressait directement à moi, en dépit du contexte totalement étranger à ma propre existence. Il culmine notamment avec une traversée haletante de Manhattan jusqu'au Bronx, sur les traces d'Edgar Allan Poe.

J'ai pris tout mon temps pour cette lecture, réticent à la quitter. Et Je vais m'intéresser de plus près à cet auteur !
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