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Critique de HordeDuContrevent


Ce livre de nouvelles n'est pas le meilleur livre de Murakami même si on y retrouve sa plume, si fluide et brillante, son univers subtilement onirique. Il n'est pas comparable au prodigieux et inoubliable Kafka sur le rivage, au délicat La Balade de l'impossible, et au surprenant 1Q84. Entre autres. C'est vrai. Mais qu'il fut plaisant de retrouver cet auteur via ces nouvelles qui se lisent avec facilité et quasiment d'une traite. Une fois n'est pas coutume, les hommes sont mis à l'honneur. Des hommes sans femmes.

Dans ces sept nouvelles, les hommes sans femmes sont des êtres fragiles, délicats, se posant tout plein de questions, se cherchant, en proie à de multiples contradictions car « c'est difficile de trouver quand on ne sait pas exactement ce qu'on cherche. ». Les femmes aimées, au contraire, sont très pragmatiques, réalistes, fortes, décidées, audacieuses (comme la Shéhérazade de la 4ème nouvelle, celle que je préfère), voire profiteuses. Des femmes qui partent, soit pour un autre, soit en mourant. Des femmes aimées désormais absentes, portées aux nues mais souvent des femmes infidèles et menteuses. La 3ème nouvelle s'intitule d'ailleurs « un organe indépendant » et, selon le Dr Tokai, tombé si passionnément amoureux qu'il était devenu incapable d'absorber la moindre parcelle de nourriture jusqu'à s'annihiler puis mourir, toutes les femmes naissent avec une sorte d'organe indépendant, un organe spécial affecté au mensonge. « elles n'avaient pas la moindre hésitation à mentir pour les choses les plus graves. Ce faisant, la plupart d'entre elles restaient imperturbables et leur voix demeurait inchangée. Car ce n'étaient pas les femmes elles-mêmes qui agissaient, mais l'organe indépendant dont elles étaient pourvues qui intervenait alors à sa guise. Par conséquent, mentir ne troublait en rien leur conscience et ne les empêchait en rien de dormir paisiblement – sauf peut-être de manière exceptionnelle ».

En tout cas, la solitude pour ces hommes est vécue comme une épreuve difficile, presque nécessaire pour devenir plus fort, « Comme les arbres qui doivent survivre à des hivers rigoureux pour devenir plus gros et plus puissants. Quand le climat est toujours doux et clément, ils ne peuvent pas développer d'anneaux de croissance. »

Shéhérazade, la 4ème nouvelle, est ma préférée. Comme dans les autres nouvelles on y voit la rencontre avec l'amante aimée, l'embrasement des corps, les adieux et ensuite cette perte immense qu'on éprouve mais la femme est ici une conteuse. On ne sait pas toujours ce qui imaginé ou réel. Cette femme sans nom, appelée par Habara son amant, Shéhérazade du fait précisément des histoires qu'elle lui raconte à chaque rencontre, a été dans une vie antérieure une lamproie. La lamproie est-elle l'image de la femme selon Murakami ? Ce qui est plutôt effrayant car les lamproies « restent là, cachées, dans l'attente. Dès qu'une truite passe au-dessus d'elles, elles s'élancent et s'accrochent à son ventre. Grâce à leurs ventouses. Et, comme les sangsues, elles la parasitent. À l'intérieur de leur bouche ventouse, il y a des dents cornées, qui effectuent des mouvements circulaires, qui râpent la peau de leur proie et creusent une cavité dans son corps. Puis, peu à peu, elles absorbent sa chair »…Glaçant, n'est-ce pas ? Ce qui est certain est que la femme, dans ce livre tout du moins, n'est plus soumise au bon vouloir de l'homme qui la fantasme et la soumet à sa volonté.

Notons que la musique est très présente, rythmant plusieurs récits, en particulier la 4ème nouvelle "Le bar de Kino" truffée de titres précis, des titres de jazz, que je me suis amusée à écouter, en relisant cette belle nouvelle après coup. Quelques références cinématographiques, notamment une de Truffaut, une de Woody Allen, apportent également une certaine atmosphère à ces multiples solitudes masculines. Solitudes bien ancrées car "dès que vous êtes un homme sans femmes, les couleurs de la solitude vous pénètrent le corps. Comme du vin rouge renversé sur un tapis aux teintes claires. Si compétent que vous soyez en travaux ménagers, vous aurez un mal fou à enlever cette tache. Elle finira peut-être par pâlir avec le temps, mais au bout du compte elle demeurera là pour toujours, jusqu'à votre dernier souffle."



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