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Critique de HundredDreams


« Elle était tellement amoureuse de moi qu'elle ne voyait plus rien. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle était amoureuse de moi ! » Groucho Marx
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Un roman bien étrange, déroutant.
L'auteur comme toujours aime à nous balader dans son monde, à la frontière entre le réel et l'imaginaire. Une frontière si souvent ténue que le lecteur ne sait où il se trouve.
Avec Haruki Murakami, la réalité se confond avec l'illusion, le rêve et l'étrangeté. le monde du visible fusionne avec celui de l'invisible. L'opacité allie la lumière.
Pour apprécier Haruki Murakami, il faut accepter de se laisser entraîner dans ce monde, dans ce jeu de miroir, de reflets, de sens et de non-sens, de réel et d'irréalité.

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Le titre du roman ne doit rien au hasard.
Spoutnik signifie « compagnon de route » en russe. Il est aussi le nom du premier satellite artificiel de la Terre lancé par l'union soviétique en 1957.
Ces amants sont comme ses satellites, ils ont des désirs non partagés, des trajectoires individuelles qui les rapprochent, puis les éloignent les uns des autres. Jeux de rencontres, de complicité, de confidence, d'attirance. Instants qui passent et qui les renvoient au loin.

« Je fermai les yeux, tendis l'oreille, et songeai aux descendants de Spoutnik, qui continuent à tourner dans le ciel, reliés à la Terre par la seule force de la gravité. Blocs de métal solitaires, ils se croisent, dans les ténèbres sidérales ou rien n'arrête leur course, puis s'éloignent pour toujours les uns des autres. Sans mots à échanger. Sans promesses à tenir. »

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K., le narrateur raconte un événement lorsqu'il était jeune instituteur.
Amoureux fou de sa meilleure et unique amie Sumire, il n'est pas aimé en retour. Cette amitié si délicate ne mène qu'à une impasse, il en est bien conscient, car celle-ci est amoureuse d'une femme mariée plus âgée, l'énigmatique Miu, pour qui elle travaille en tant que secrétaire et assistante. Quant à Miu, elle n'est pas attirée par la jeune femme.

« C'est ainsi que nous poursuivons nos existences, chacun de notre côté. Si profondément fatale que soit la perte, si essentiel que soit ce que la vie nous arrache des mains, nous sommes capables de continuer à vivre, en silence – même lorsqu'il ne reste plus de notre être qu'une enveloppe de peau, tant nous avons changé intérieurement. »

Triangle amoureux, jusqu'au jour où tout bascule. Lors d'un voyage d'affaire avec Miu, Sumire disparaît. Comme si elle s'était tout simplement évaporée.
Cet évènement nous plonge alors dans un univers d'étrangeté et de mystère.

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« Les amants du Spoutnik » pourrait être une version différente de « La confusion des sentiments » de Stefan Zweig. Ce roman met en scène un triangle amoureux. Intensité des sentiments autour de ses trois personnages, où la sensualité, le désir, et le fantasme s'enroulent autour d'eux.
Mais avec Haruki Murakami, une autre dimension apparaît, celle du fantastique. Avec aisance et légèreté, car tout ce que raconte l'auteur est plausible et peut avoir une explication logique. Cet équilibre, cette justesse des mots est ce qui me plaît chez cet auteur.

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Les trois personnages sont bien travaillés, même si l'approche en est très différente.
Le narrateur déroule son histoire et exprime sa passion, son désir violent d'être aimé, tout en se maîtrisant et faisant preuve de retenue, de respect. Il nous apparaît sympathique, tolérant, calme, posé.
Au contraire, Sumire explore des sentiments tout neufs, et fait preuve d'égoïsme, d'immaturité, de naïveté, de manque de savoir vivre.
Quant à Miu, on en a une image assez floue jusqu'au dernier tiers du roman, car le narrateur ne la connaît que par les propos de Sumire. Elle se dévoile différemment, plus mûre, plus généreuse, plus fragile lorsque le narrateur fait sa connaissance.

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L'intrigue est assez longue à se mettre en place. Mais très étrangement, j'ai eu a du mal à lâcher le roman, la lecture me suivait une fois le livre refermé et je n'avais qu'une envie, le rouvrir et lire la suite. La fin ouverte, laisse le temps au lecteur de continuer à rêver. Je n'aime pas les fins ouvertes, mais avec Haruki Murakami, ce n'est pas pareil…

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Tout l'art de l'auteur s'exprime dans un style qui lui est propre, délicat, lumineux et poétique.
Et comme toujours chez lui, on trouve de belles réflexions. J'ai noté en particulier celle sur l'acte d'écrire : pour écrire, il faut avoir une certaine maturité, avoir vécu pour avoir quelque chose à raconter.

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Pour moi, « Les amants du Spoutnik » est un très bon roman, plus personnel peut-être, mais pas le meilleur roman d'Haruki Murakami. Il nous habitue tellement à de magnifiques romans, que je place sûrement la barre très haute.
Mais je pense qu'il peut être un roman permettant de découvrir l'univers de l'auteur, son style inimitable, et son écriture sensuelle.
Un voyage onirique, une atmosphère étrange, épurée, cotonneuse, comme si on était à la lisière entre le rêve et la certitude, une confusion entre le probable et l'improbable, le perceptible et l'imperceptible.

« Derrière les choses ou les personnes que nous croyons connaître se cache toujours une proportion identique d'inconnu. »
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