Citations sur De minuit à minuit (19)
A l’instant où j’achèverai cette longue ligne,
j’irai rejoindre
le vide,
comme enivrée par son
odeur,
puis la vie reprendra
le dessus.
L’ignominieuse
vie.
On a beau dire,
c’est la seule chose pour laquelle on serait prêt à tout faire,
notre vie,
parce qu’on sait toujours,
dans un coin reptilien du crâne,
un coin fossile,
qu’elle est notre seule possible
pour échapper
au néant.
Quand j’ai découvert le crack, je n’avais pas encore vingt ans encore
Et j’ai su,
Dès le premier instant,
Ma douce,
Que c’est cela que j’avais
Attendu
Toute la vie.
J’aurais voulu accoucher de soleils pour que tu te saches plus grande que l’univers
4. « Pardonne-moi, ma douce.
Je choisis de vivre en toi plutôt que de mourir
en te laissant inengendrée.
Trop de filles ont déjà connu cette odieuse blessure.
Je te ramènerai à mon monde plutôt que de te laisser flotter
dans des mondes
qui ne sont pas les tiens.
Pardonne-moi
si je t'enferme sur une terre si petite.
J'ai essayé de me peindre à la lumière
de ce qui a fait de moi une bête
dans leurs yeux,
puis dans les miens.
Pardonne-moi.
J'aurais voulu accoucher de soleils pour que tu te saches plus
grande que l'univers.
Pardonne-moi.
Entre mes cuisses,
il n'y a que poussière.
Après toi,
qu'y a-t-il ?
Après t'avoir vue naître,
après t'avoir perdue,
que peut-il me rester à vivre ? » (pp. 116-117)
Je ne sais plus ta peau
seulement les traces d'une
chaleur confuse
que je doute
même d'avoir,
un jour, connue.
Il a fallu si peu pour qu’ils t’enlèvent à moi.
Il a fallu les sirènes, les crissements des pneus de bagnole, les pas qui frappaient les ordures et laissaient sillons de regard-haine. Quelques mots balancés comme on tranche une tête.
Je n’ai même pas su crier.
J’étais partie dans l’autre monde alors,
où rien ne compte plus,
où ta naissance n’est plus que dans mes rêves,
où vivre n’existe pas tout à fait
et les grandes plaies sur le coeur ne sont pas que des dessins
absurdes laissés au crayon de papier.
Il faut que tu te souviennes,
mes arrière-grands-mères, mes arrière-grands-pères,
la chaîne de souffrance infinie dont je suis le dernier maillon,
la grande machine coloniale qui a réduit les terres de nos
ancêtres à des éponges de sang et le chant des espoirs creux qui
poussent les nôtres à prendre la mer pour retrouver la misère
et la haine sous un autre visage.
Il faut que tu te souviennes, la grande machinerie capitaliste
qui a fomenté
la révolution industrielle et broie les rêves et esclavagise les
êtres pour
les recracher tas de larmes
et brisures
d’os un
peu plus
bas.
Comme j’aurais aimé te connaître.
Juste un peu avant qu’ils ne t’arrachent pour toujours à moi.
C’est égoïste, je le sais,
mais je suis mère
avant d’être juste,
je suis mère
avant d’être sans
toit,
je suis mère
avant d’être
addict au
crack,
avant même, d’être une inconnue,
je suis ta mère,
ma douce.
Je suis ta mère.
Tu sais, moi, quand je l’ai quittée, je n’ai pas su pleurer de cette manière. J’avais dix-sept ans, la clope aux lèvres, et j’arpentais les jours comme une ombre perdue.
dans un tunnel sans fin. Et puis le froid, la faim, la violence
des regards jetés
sur les rues,
les sexes dévorants
de ceux qui jouissent de
notre perte
ont fini par tarir chaque
pli de mon corps.
Si tu savais comme, sur
la colline,
toutes, elles ont connu
ceux-là.
Et j’aurais pu leur dire, ma douce, qu’il fallait que je me fende
Pour que ta vie soit vie
Et que ma mort soit mort
Mais que jamais
Je n’aurais pu me résoudre
A t’abandonner
Tout à fait