Ce texte, c'est d'abord et avant tout une voix, celle d'une mère junkie qui vient de perdre la garde de sa fille encore bébé, et s'adresse à elle, « ma douce », pour le jour où elle osera demander qui est sa mère biologique.
Une voix en seize chapitres nommés très justement « mouvements » tant le texte est mobile, liquide avec sa forme versifiée qui oscille entre prose et vers libres. N'étant que peu habituée à cette forme poétique, il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer et que le cri de cette mère me parvienne et que son instinctivité, sa sincérité brute me touche.
« L'écriture surgit de l'absence. Si je trace des plans sur le grand vide, sauras-tu funambuler jusqu'à moi ?
Je me suis dit : le fil, tisse le fil, je me suis dit : tresse le langage,
et la corde
jetée dans l'océan pour que tu puisses franchir le jour.
Il s'agir de vivre.
Aller
de minuit à minuit,
encore
et encore
et encore. »
La déstructuration de ces phrases, avec leur syntaxe dérangée par les retours à la ligne, saccade le rythme de lecture pour dire au plus profond la fibre humaine qui anime cette mère déchue dont on découvre le parcours tragique, de l'enfance saccagée à la toxicomanie irréversible. On reçoit immédiatement toutes les nuances des mots choisis avec précision par l'autrice. La liberté de l'agencement des mots répond à la liberté trouvée à écrire, donnant ainsi un pouvoir sur le réel.
« Ils disent qu'on vit sur la colline du crack.
On vit sur le seul bout de terre
qu'ils nous ont laissé.
On crève.
On a l'iris-océan sur la dernière
grève et si la fin vient à venir, s'ils nous chassent
de la colline, on prendra les égouts et le silence de la nuit
pour leur rappeler qu'on existe. »
Le sujet n'est pas l'addiction, même si elle est très présente avec cette « colline du crack - « grand charnier hurlant à l'ombre de la ville des lumières et du pays de l'égalité, de la fraternité et de la liberté » - où vit la mère ; il s'agit avant tout de solitude de l'être, d'une femme, non blanche, née pauvre, à qui Sarah Mychkine donne la parole comme elle la donnerait à quelqu'un qui n'est pas censé l'avoir, une de ses invisibles, marginaux considérés comme un rebut de la société.
« Si tu savais,
je t'aimerai jusqu'à ce qu'ils me tuent,
parce qu'ils finiront par nous tuer,
à menton-poignard
d'indifférence.
Mais je t'aimerai
jusqu'au bout et au-delà encore.
Je t'aimerai pour tous leurs silences, ma douce. »
Le récit se fait rapidement politique car la mère, à la fois martyre et témoin, veut montrer à sa fille la réalité d'un monde qui crée de la violence, maltraite les corps des plus faibles et tolère la misère sociale du moment qu'elle est loin des regards. La mère crie pour être, comme un contre-récit à la déréliction qui l'entoure et la submerge. Elle crie pour s'arracher à sa condition de mère-néant, guidée par cet amour maternel qu'elle crie dans le silence car cette adresse sera forcément sans réponse.
« Pardonne-moi.
J'aurais voulu accoucher de soleils pour que tu te saches plus
grande que l'univers.
Pardonne-moi.
Entre mes cuisses,
il n'y a que poussière. »
Un très beau texte à fleur de mots souvent au flow déchirant et puissant.