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Citations sur Londongrad (19)

— Un jour, un gars m’a dit que, dès que tu fourrais ton nez dans une affaire, tu ne pouvais plus la lâcher. Pas vrai, Artie ?
— Il était certainement ivre. Tu ne sais rien de moi.
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— Artie, c’est ça ?
— Oui.
— Vous menez l’enquête ?
— Non, je ne fais que passer.
— Vous n’avez pas travaillé sur une histoire d’engin nucléaire dans le temps, à Brighton Beach ? Vous avez repéré un passeur qui venait de Russie avec des trucs radioactifs dans sa valise. Je m’en souviens. Avec ces enfoirés de Russkofs, non ?
— Oui. Vous pensez avoir trouvé quelque chose ?
Je montrai le portique.
— Je sais pas trop. Vous voulez que je vous appelle ?
Je montrai Bobo d’un mouvement de tête.
— Appelez-le, si vous voulez.
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— Ils devraient arrêter de regarder des films qui n’ont aucun rapport avec la réalité ; toutes ces grosses machines policières avec des menaces nucléaires à la con, ça vaut rien, que dalle, zéro. Ils devraient plutôt dépenser du fric pour inspecter les cargos et les soutes à bagages de tous ces putains d’avions en provenance de chez les maboules. Et les déchets hospitaliers, les centrales nucléaires sans surveillance ? Mais on n’a pas de pognon pour tout ça, pas vrai ? Ça va arriver, c’est sûr, mais pas de cette façon, par sur ce putain de terrain de jeu, ou dans des sushis comme avec ce type à Londres. Un jour, ça va arriver du ciel, bang, comme avec les Twin, bing bang boum !
Il émit un petit ricanement, jeta sa cigarette par terre, l’écrasa avec sa botte et remit son masque.
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Et maintenant que la vermine des dealers de crack avait disparu, la cité était menacée par Trump, ou tout autre promoteur sans foi ni loi, qui rêvait de s’en emparer, d’augmenter les loyers, de tout faire sauter. Apparemment, tout serait réglé à l’automne.
Mais Olga Dimitriovna et ses amis ne bougeraient pas facilement, pas sans se battre, maintenant qu’ils avaient transformé le quinzième étage en village : les anciens aidaient les nouveaux, ils allaient les uns chez les autres ; quand il faisait beau, ils s’installaient dehors dans des transats en plastique vert et jaune, comme si le trottoir était une véranda ; ou bien ils partaient en excursion à Brighton Beach pour faire des courses ou manger au restaurant dans les occasions particulières, ou encore au YMCA de la 92e Rue pour écouter de la musique, une fois par an.
Ils résisteraient. Ils s’organiseraient. S’il le fallait, ils se battraient. Ils avaient survécu à tout le reste. Staline, Hitler. À l’arrivée en Amérique.
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Il fallait que je sache ce qu’il y avait sous ce ruban adhésif.
Tenant le corps d’une main, je soulevai un petit bout de plastique au niveau du visage. Le ruban produisit un bruit râpeux sur la peau. Il s’enlevait facilement, c’était du travail bâclé. Du bout du doigt, je touchai la peau près du nez. Je vis apparaître un œil, et il me sembla que la paupière bougeait, comme si elle allait s’ouvrir brusquement.
Elle était morte. Je n’avais jamais été un spécialiste dans ce domaine, mais elle se trouvait sur cette balançoire depuis un bon moment, autant que je puisse en juger.
D’abord emmaillotée ? Ou d’abord morte ?
J’avais envie de me tirer, de foutre le camp, de me retrouver en vacances, mais je devais attendre les renforts. Je ne voulais pas qu’un autre gosse comme Dina vienne ici et tombe sur ça.
Je guettais les sirènes. Je regrettais de ne pas avoir de cigarettes. Je transpirais sous le soleil brûlant et je ne pouvais qu’attendre.
Ne sachant pas quoi faire d’autre, je m’assis sur la balançoire voisine. Ensemble, la morte et moi, on se balança d’avant en arrière, tels deux gamins au petit matin que personne ne pouvait voir.
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Enveloppé de ruban adhésif argenté qui projetait un éclat terne dans la lumière du matin, le corps – sans doute celui d’une femme – était assis sur la balançoire, les bras attachés aux chaînes par une corde ; un vent brutal la faisait bouger d’avant en arrière. Ou peut-être était-ce son propre poids qui produisait ce mouvement de va-et-vient sur cette balançoire, au milieu de ce terrain de jeu abandonné de Brooklyn.
— Quand l’as-tu trouvé ? demandai-je en russe, tout doucement, bien qu’il n’y eût personne dans les parages.
— Elle est morte ? Elle est morte ? demanda Dina.
Brusquement, elle m’échappa et s’enfuit en courant, tête baissée, trop vite pour que je puisse la rattraper : tache floue de jambes et de bras maigrelets et de tee-shirt rose.
J’alertai la police et retournai vers le portique.
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Quand je la vis, au moment où elle jaillissait sur la chaussée, j’étais à une seconde de la renverser, de la tuer. La sueur recouvrait mon visage et coulait dans ma nuque. Le sac posé sur le siège du passager tomba sur le sol, les livres s’en échappèrent, les livres que j’apportais à la vieille femme de la part de Tolya.
J’écrasai la pédale de frein. Je descendis de voiture au milieu de la chaussée. Il n’y avait pas beaucoup de circulation dans ce coin sinistre, mais plusieurs voitures s’étaient mises à klaxonner ; je les envoyai au diable et relevai la gamine qui braillait pour l’asseoir sur le trottoir. C’était une journée chaude et sèche, des rafales de vent provenaient du fleuve, à presque un kilomètre de là. C’était un jour férié. Le 4 juillet.
Sur le trottoir fissuré, à l’endroit où Brooklyn vient buter contre le Queens, je passai le bras autour de la gamine vêtue d’un tee-shirt rose sale et essayai de la faire parler.
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— Tu me parlais d’un service ?
— Il s’agit juste d’apporter des bouquins à une vieille dame à Brooklyn. (Il déposa un sac de courses sur le bar.) Ça ne t’ennuie pas ? Sûr sûr ?
Il savait que je ferais ce qu’il me demandait sans poser de questions. Telle était sa définition de l’amitié. Il croyait uniquement à la version russe de l’amitié, pas celle des Américains qui appellent tout le monde « mon ami ». « Ils disent mon meilleur ami », persiflait-il.
— J’irais bien moi-même, ajouta-t-il, mais j’ai deux employés qui ne sont pas venus hier soir. Ça m’énerve un peu, je l’avoue, parce que je suis généreux avec mon personnel. Je leur verse un salaire en plus des pourboires, contrairement à la plupart des clubs et des restos.
C’était un des griefs de Sverdloff : dans les restaurants de New York, la plupart des employés étaient payés au salaire minimum et gagnaient leur vie grâce aux pourboires.
— Je déteste ce système, dit-il. En Espagne, c’est civilisé. Là-bas, les serveurs sont payés correctement, ajouta-t-il, et je compris qu’il allait enfourcher son dada habituel.
— Oui, dis-je, en sentant couler le vin dans mes veines comme du plaisir liquide. Évidemment, Tolya. Tu es le patron le plus sympa de la ville.
— Ne te moque pas de moi, Artyom. Je suis un très bon socialiste, déguisé en capitaliste.
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Son anglais variait selon les occasions. Grâce à ses études dans les écoles de langues de Moscou, il le parlait magnifiquement, avec un accent britannique. Mais quand il était ivre ou d’« humeur festive » comme il disait parfois, il inventait son propre langage, un mélange de russe et d’anglais, celui qu’utilisaient, imaginait-il, les gens incultes : les gangsters, les Russes nouveaux riches. Il me raillait en permanence ; il savait bien qu’à mes yeux, tous les Russkofs étaient des bandits ou des primates. « Voilà ce que tu penses, Artemy », disait-il.
Mais quand il s’en donnait la peine, il parlait une langue russe si pure, si douce, que c’était comme si on caressait mon âme. De son vivant, le père de Tolya parlait de la même façon, m’avait-il affirmé un jour. Il avait reçu une formation d’acteur. Et de chanteur. Paul Robeson avait complimenté son père alors qu’il était encore étudiant. « Il avait une voix, mon père », disait Tolya.
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— Tu es sur une affaire, Artemy ?
Il avait utilisé mon prénom russe. Comme moi, Tolya Sverdloff avait grandi à Moscou. J’en étais parti à seize ans, j’avais débarqué à New York, coupé tous les ponts et jeté mon passé aux oubliettes le plus vite possible. Tolya possédait un appartement là-bas et un autre en Angleterre. Tolya était un nomade désormais. Londres, New York, la Russie. Il avait ouvert des clubs dans tous ces lieux.
— Je suis en vacances depuis hier, dis-je. Dix merveilleux jours de congé, pas d’homicide en cours, pas de Russes fous ayant besoin de mes services linguistiques.
Je m’étirai et bâillai, et je bus encore un peu de vin. Il n’était pas encore neuf heures. Et alors ? me dis-je. Ce bordeaux était délicieux.
Tolya leva son verre.
— La semaine prochaine, c’est mon anniversaire.
— Joyeux anniversaire.
— Tu viendras à ma fête ?
— Bien sûr. Où ça ?
— À Londres.
— J’ai mené une enquête là-bas. J’en ai gardé un sale souvenir.
— Tu as tort. C’est un endroit fantastique, Artemy.
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