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Critique de MaggyM


Azar Nafisi est professeur de littérature à Téhéran. Opposée à toute forme de totalitarisme mais profondément attachée à son pays, elle a tenté, à travers l'étude de certaines oeuvres classiques, de développer le sens critique de ses étudiants. Dans l'intimité de son salon, elle a tenu pendant deux ans un séminaire réunissant plusieurs jeunes filles qui partageaient leurs rêves et leurs réalités en compagnie de Lolita, Gatsby, Elisabeth Bennet, et bien d'autres.

Ce récit, qui se situe entre le roman et l'essai, fait partie de ces lectures nécessaires qui font réfléchir. Parce qu'il est impossible de ne pas appréhender l'ouvrage sans faire le lien avec la situation actuelle en Europe. Au point qu'il m'a fallu faire une pause en pleine lecture (et lire autre chose), ce qui ne m'arrive jamais. Parce que les mécanismes mis en oeuvre, insidieusement, avec l'assentiment d'une partie de la population fragilisée et crédule, qui ont fait basculer l'Iran moderne du Shah dans la République Islamique, modèle dans lequel se sont perdus les érudits, la culture, le libre arbitre et l'esprit critique, ces mécanismes donc, s'apparentent fortement aux politiques actuelles dans nos contrées.

Difficile, voire impossible, de ne pas faire le lien entre les brigades de la morale qui arpentent les rues pour vérifier que les femmes portent bien leur foulard et les brigades Covid de nos polices ; impossible de ne pas comparer la propagande médiatique par la peur et la censure « anti-occidentale » qui l'accompagnait avec ce qu'il se passe aujourd'hui dans la presse et sur les réseaux sociaux. En prenant un peu de hauteur, bien que le fond n'ait aucun rapport, les exemples sur la forme ou les risques de dérives qui y sont liés sont légion et rend d'autant plus glissante la pente sur laquelle nous nous sommes engagés.

A travers ce contexte qui la perturbe beaucoup car il la pousse à se questionner sur l'impact qu'elle pourrait avoir sur des étudiants en souffrance, qu'ils soient acquis à la cause islamique ou en désaccord avec le régime qui se met en place, l'autrice a d'abord exploité l'oeuvre de Fitzgerald et a été jusqu'à organiser le procès de Gatsby. Dans un auditoire composé de jeunes femmes qui tentent de conserver leur liberté de parole et de pensée et de jeunes hommes de plus en plus convaincus que l'occident en général et l'Amérique en particulier incarnent le Mal sur terre, Azar Nafisi s'expose constamment. A la vindicte du corps professoral que ses prises de position dérangent et à l'agressivité d'une partie de ses élèves qui rêveraient de la voir « remise à sa place ».

Quand la République islamique sera installée, que la guerre contre l'Irak aura débuté, c'est Henry James qui lui servira de prétexte à tenir débat, à secouer les idées reçues avant de se faire éjecter de l'université.

Et une fois un semblant de paix revenue, sans pour autant que les dogmes installés sous Khomeyni disparaissent, c'est grâce à Jane Austen et Nabokov qu'elle réunira chaque jeudi pendant deux ans des étudiantes qui oseront enlever leur voile et leur longue robe noire le temps des échanges.

Une certaine complicité unira ces femmes entre elles, sans pourtant parler d'amitié. Chacune se posera mille et une questions, aussi bien sur le présent que sur l'avenir. Quand on se sent étranger en son pays, vaut-il mieux partir en espérant un monde meilleur, ou faut-il rester par patriotisme, pour résister et montrer que l'on n'est pas à terre ?

Azar Nafisi nous propose donc ici un témoignage poignant, bouleversant par moment et nous confirme que la littérature, pour imaginaire qu'elle soit, et la liberté d'expression au sens large, restent des socles de démocratie solides que nous avons tous le devoir de protéger. Et que même si le doute, voire le découragement, sont parfois inévitables, rester en cohérence avec ses convictions profondes, plier mais ne jamais rompre, poser un regard critique sur les croyances et les dogmes et désobéir s'il le faut, permettent à l'humain de rester Libre, même en enfer.
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