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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le ça, le moi, le surmoi sont trois des étages de ce roman. Les autres sont les étages d'un immeuble de Tel- Aviv.
Trois personnages en manque de confidents vont se livrer à des interlocuteurs silencieux.

Arnon, un ancien militaire choisit un vieil ami écrivain pour lui raconter ses tourments. Avec sa femme ils avaient pour habitude de confier leur petite Orfi, adorable fillette sage et intelligente, à Herman et Ruth le vieux couple d'en face. Tout se passait bien jusqu'au jour où le vieil homme, qui perd sérieusement la tête se retrouve très désorienté dans un verger en compagnie de la petite. Arnon ne se maîtrise plus, il s'obstine à croire que Herman à "fait du mal" à sa fille. Et il ne se maîtrise pas non plus quand il rencontre la très aguichante Carine, la petite fille d'Herman.
Il est au premier étage...il est le Ça.

On rencontre ensuite Hani, celle qu'on appelle la"veuve", elle s'étiole, toujours seule, mariée à un homme toujours absent. Elle va écrire à une amie lointaine pour raconter ce qu'elle vient de vivre et qu'elle a du mal à croire. Son escroc de beau-frère, banni de la famille par son mari, débarque chez elle pour fuir la police. Elle succombe vite au charme de ce beau parleur...
Écartelée entre ce qu'elle aimerait et ce qu'elle doit faire, elle est le Moi de l'histoire. A noter le passage génial où ils jouissent sans se toucher.
Hani habite au deuxième étage.

La troisième histoire, ma préférée , à bien des égards !
Deborah, juge à la retraite, veuve encore éplorée, va régler quelques comptes avec son défunt mari. L'exemplaire Michaël. L'homme parfait, toujours sûr de tout, économe à l'excès et très ordonné. Il l'a protégée...et certainement étouffée. Veuve de plus en plus joyeuse quand elle rencontre de jeunes militants et le charmant et quelque peu mystérieux Avner Ashot.
Elle dépense sans "trop" compter, dort dans une tente avec les jeunes manifestants, prodigue ses conseils aux plus démunis. Repense à son fils disparu après de tristes affrontements avec Michaël...
La voix d'outre tombe de son mari n'est jamais loin pour lui rappeler ses principes, elle devrait se contrôler un peu plus !
Mais ce surmoi intérieur est mis à mal par des senteurs de liberté.
C'est le Surmoi du troisième étage.

Un roman écrit tout en finesse.
Parfait pour bien assimiler les trois instances de la seconde topique freudienne.
Parfait également pour se retrouver au milieu de Tel-Aviv confrontée à un climat perturbé.



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Genre: Magistral

Quel brio, quelle intelligence, quelle finesse d'analyse.

Je lis Eshkol Nevo à rebours puisque Trois étages précède La Dernière Interview et Turbulences dans leurs publications en français.
C'est sans doute celui que je conseillerais pour aborder l'oeuvre récente de Nevo.
Trois étages pour trois histoires qui ont plusieurs dénominateurs communs :
-Les trois narrateurs (Arnon, Hani, Déborah) souffrent d'une abominables solitudes.
-Ils s'adressent à un interlocuteur que nous n'entendrons jamais :
Arnon s'épanche dans un bar, monologue furieux adressé à un pote écrivain (l'auteur évidemment) qu'il n'a pas vu depuis des lustres.
Hani écrit une lettre à une vielle amie ayant quitté Israël depuis longtemps.
Déborah laisse des messages sur un vieux répondeur où résonne la voix de son mari décédé .
-Ils incarnent chacun une instance freudienne, c'est ce qu'on découvre grâce à Déborah, l'ex-juge, qui achète les oeuvres complètes de l'inventeur de la psychanalyse.
-Ils sont profondément frustrés par la vie qu'ils mènent et qu'ils ont mené. Je veux dire frustrés à tout point de vue : sexuel, social, parental, professionnel.

Arnon, l'ex-militaire, confie régulièrement sa fille ainée à un couple de retraités qui résident sur le même palier. Il devient obsédé par l'idée que le papy Herman est un pédophile et qu'il a probablement abusé sexuellement de leur fille, dans le fameux verger qu'on retrouve souvent dans les autres romans de Nevo. Il incarne le Ça.
Hani a des enfants qui ne vont pas bien et elle-même est en train de perdre le pédales. Elle n'arrive pas à rendre responsable les absences fréquentes et longues de son mari. Jusqu'au jour où le frère de celui-ci sonne à sa porte et l'entraine dans une folle histoire. Elle incarne un Moi en pleine déliquescence.
Déborah est veuve mais la voix de son mari est toujours là pour dicter des injonctions rigides sur la façon de s'habiller, l'utilisation d'internet etc… Elle est brouillée avec son fils unique pour des raisons qu'on découvrira plus loin. Mais elle décide d'aller manifester. Elle va se retrouver un peu par hasard dans « la tente des psychologues » et entend les confessions spontanées de tous ceux qui sont en panne d'écoute (comme en France aujourd'hui). Comme celle qui éprouve une violente attirance sexuelle pour son frère ainé.
Mais Déborah est un Surmoi ambulant.
Ce récit-là est particulièrement savoureux. Nevo délaisse son ironie (qui est sa marque de fabrique et qui me fait souvent rire aux éclats) et devient extrêmement émouvant lorsqu'il part sur les traces de Déborah qui recouvre sa liberté.

Ces histoires se déroulent dans le tumulte de grandes manifestations à une époque qui préfigure les évènements actuels parce qu'ils entraînent inexorablement l'état hébreux vers le sort que l'on connait.

Dans ce roman Nevo m'évoque énormément Zweig, c'est assez flagrant dans le dernier récit. Avec humour, il se met en scène pour entrelacer les fils de ses récits et nous donner à penser sur ses thèmes de prédilection : l'amour, la famille, la transmission, l'intégriste et surtout surtout la quête identitaire. Oui, c'est cela au fond: Nevo nous parle d'identités floues, rigidifiées, fracassées, multiples et éclatées. Et si ce thème est d'une acuité vive en Israël, il est, bien entendu, universel !
Magistral.
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Ca aurait pu faire une comédie. Romantique ou satirique. le huis-clos d'un immeuble, quelques personnages reliés par cette adresse commune, les quiproquos ou révélations qu'aurait permis cette proximité faite de distance polie qui organise les rapports de bon voisinage. Trois étages est beaucoup moins convenu que cela.

En trois parties distinctes, le lecteur reçoit les confidences de trois des habitants d'un même immeuble de Tel Aviv. La première est adressée à un ancien camarade devenu écrivain connu par un père de famille inquiet et virulent. La deuxième à une vieille amie d'adolescence sous forme de lettre, par une mère de famille un peu dépassée. Et la troisième, ce sont les retranscriptions des enregistrements audio qu'une juge à la retraite a laissés sur la cassette d'un vieux répondeur à l'intention de son époux. Malgré le fait incontestable que ce dernier soit défunt.

Il n'y a pas beaucoup de relations entre ces trois parties, ces trois étages de l'immeuble et du roman. A peine une mention ici ou là qui ancre les histoires dans un même endroit. J'ai l'impression, que c'est plutôt un échantillon de vies qui nous est donné qu'une théorie du lien. Un carottage à trois endroits qui exhume la richesse des émotions, mouvements d'âme, interrogations et doutes de trois personnages sans rien d'apparemment extraordinaire. Mais sous leurs aspects policés de bons voisins, Arnon, Hani et Déborah ont des vies intérieures d'une intensité folle. La manière dont leurs gestes mesurés et discrets les traduisent est illisible pour n'importe qui d'extérieur, seul le lecteur qui aura eu accès aux confidences de chacun en comprendra sinon la portée ou moins l'intention.

Deborah, en commandant et lisant les oeuvres complètes de Freud pose la stratification de trois instances comme trois étages et donne une piste supplémentaire d'interprétation : la colère pulsionnelle et instinctive d'Arnon, les dangers névrotiques de devoir composer avec le réel et ses fantasmes pour Hani, et enfin le redoutable Surmoi dont les exigences peuvent détruire toute vie. Mais ce serait réducteur de ne prendre que ce fil. On ne verrait pas alors la peinture chamarrée de tous les caractères, les descriptions des mouvements sociaux dans Tel-Aviv, les petites mesquineries, les contre champs, le mystère qui plane, toujours entier, sur bien des motivations de personnages secondaires. La place qui est laissée à l'imaginaire, la fantaisie, une certaine forme d'irrationnel jamais bien loin de la folie. Bref, nous manquerait tout ce qui fait le sel de ce très joli roman.
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Qu'est-ce qu'une relation de bon voisinage ?

Une belle journée souhaitée avec automatisme dans la cage d'escalier avec au coin des lèvres le timide dessin d'un sourire poli ? Les services rendus, les plantes arrosées, les enfants gardés, les dépannages de sucre ou café ?

Mais on ne se risquerait pas à demander de la moutarde, pas vrai ? On marche sur le fil. Il ne faudrait pas déclencher les hostilités. Après tout les voisins, on les croise tous les jours. On attend que leur dos fuyant ait tourné au coin de la rue pour s'autoriser à employer le petit surnom pas très malin, dont on est pas très fier non plus, mais dont on a pris l'habitude dans l'entre-soi de la famille. On apprend à baisser les paupières sur les petites manies étranges, à devenir sourd et amnésiques face aux éclats de voix de disputes qui ne nous regardent pas. Il ne faudrait pas empiéter sur leur intimité. Qu'arriverait-il s'ils empiétaient sur la nôtre, que diraient-ils s'ils connaissaient nos secrets ? Non, on ne se risquerait pas à croiser leur regard moralisateur. On préfère voir les commissures de leurs lèvres s'étirer machinalement, quand à leur tour ils nous souhaitent une bonne journée.

Pourtant, parfois, on a désespérément besoin d'une oreille attentive, d'un regard aiguisé, quelqu'un qui nous remarque, qui nous connaît et qui saurait, si ce n'est comprendre, du moins accepter d'être le témoin de nos fêlures, de nos erreurs, de la culpabilité qui nous ronge.

Alors que leurs certitudes vacillent, que le sol qui les a toujours porté semble se dérober sous leurs pieds, les trois narrateurs suffoquent sous le poids du silence. Tous trois vont se livrer, comme ils ne l'ont jamais fait auparavant. Mais pas à leur voisin, non, les secrets ne traversent pas les étages. Ils trouveront chacun le réceptacle adéquat. Celui dont la loyauté passée et l'éloignement présent permet la confession. Et tour à tour, l'auteur nous convoque, nous lecteur, à incarner cet autre dans cette pièce en trois actes.

Jugerons-nous? Comprendrons-nous ? Quelle importance puisque demain, en passant la porte familière, ils ne croiseront pas nos oeillades, ils n'auront pas à tenter d'interpréter nos gestes et nos silences. Chacun poursuivra son existence allégé du fardeau oppressant de ce qui ne pouvait pas être dit en pleine lumière.


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«  Comment peut - on partager l'existence de quelqu'un pendant vingt- cinq- ans et ignorer la nature de son travail ? »
«  Une mère qui renonce à son fils——-existe- t- il péché plus grave dans la nation des mères juives ? »
Deux extraits de ce petit livre si brillant qui décortique avec bonheur et pénètre l'intimité d'un immeuble où rien n'a l'air de se passer , tout est calme, tranquille…et pourtant !

Connaît - on son entourage ?

Trois longues nouvelles rattachées aux théories psychanalytiques de Freud , situées aux trois niveaux freudiens de l'âme : le Ça, le Moi, et le Surmoi.

Je remercie chaleureusement l'amie de Babelio qui m'a fait acheter cet ouvrage attachant , une construction romanesque superbe tissée de tranches de vies où les habitants de l'immeuble sont à un moment de basculement , trois états freudiens au ton de la confidence intime , conversation entre le protagoniste et l'un de ses proches …

Ces trois récits dont j'ai préféré le troisième, le plus intéressant , riche de révélations, de solitude, de secrets révélés , de blessures profondes , de fantasmes, de rêves non aboutis , de vérités , de douleurs , d'amour parental , de rigidité .

La psychologie de tous les personnages , complexes ,souvent aux prises avec des failles et des manquements béants est analysée avec finesse , profondeur, légère ironie , on ne s'ennuie absolument pas.

S'ajoutent les thèmes universels du couple aux prises avec le temps, la fidélité ,la culpabilité , l'emprise conjugale, le soupçon , la colère , les remords, les épreuves, les limites de l'amour parental et surtout le pardon .

Des récits passionnants qui se complètent harmonieusement sans fausse note .
Ils donnent un éclairage assez alarmant des échecs , du désenchantement la société israélienne.

Le style fluide , prenant accompagne cette comédie douce -amère , ces révélations , ces tranches de vie aux intimités dévoilées qui révèlent peu à peu la conscience, les tourments, les turpitudes de ceux qui n'ont pas l'esprit si tranquille à travers les petits détails de la vie quotidienne.

Seule restriction ,la première nouvelle qui laisse le lecteur sur sa faim , sûrement à dessein !
Bravo à l'auteur que je ne connaissais pas ! .

«  Et si tu partageais l'un des secrets avec moi? .
Impossible que tu n'en aies pas. Chaque femme cache le sien » …
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Dans un immeuble de Tel-Aviv, Arnon, un ancien militaire, sombre dans l'obsession lorsqu'il échoue à comprendre ce qui s'est passé entre sa fille et son voisin de palier à la retraite à qui il a confié son enfant. A l'étage supérieur, Hani s'ennuie de son mari toujours absent et ne résiste pas aux charmes de son beau-frère. Au dernier étage, Déborah, juge à la retraite, lutte contre la solitude.
"Trois étages" me fait penser à "Une deux trois" le dernier roman de son compatriote Dror Mishani . Il lui fait écho étrangement , par sa structure et son sujet : une roman à trois temps, avec trois personnages qui prennent la parole à tour de rôle, imposant des voix, des phrasé très distincts, trois habitants d'un même immeuble , quelque part en Israël... Contraintes de la vie de famille, crises existentielles, manifestations, Kibboutz et amours improbables , leurs vies à la fois s'imbriquent et se différencient au fil des pages.
Très réussi !
Oui j'ai adoré ce roman choral
Lien : https://collectifpolar.com/
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Dans la banlieue de Tel Aviv, un immeuble d'un quartier bourgeois sert de décor à ce roman original à la construction singulière…
Trois étages, trois tranches de vie, trois intimités dévoilées. Trois états freudiens, le ça, le moi et le surmoi.
A chaque fois, le lecteur est happé par le récit. le ton familier de la confidence intime met le lecteur dans la position particulière du voisin voyeur, exacerbant ce travers peu glorieux : l'envie de découvrir ce qui se cache derrière la porte des voisins. Eshkol Nevo manipule parfaitement bien son lecteur qu'il accroche dès les premières pages en donnant à lire le courrier envoyé par le narrateur à son meilleur ami pour lui décrire la situation inextricable dans laquelle il s'est fourré. le style, familier, vif et drôle m'a séduit dès les premières pages.
Neta, l'amie d'enfance de Hanni, la narratrice du deuxième étage, va servir de confidente épistolaire et ainsi remplacer sa psychothérapeute décédée… Cette femme au foyer, soumise et docile, bien rangée dans une vie des plus banales a pourtant des rêves et parle aux chouettes ! Tout au long de cette deuxième partie, Hanni va confier à Netta qui vit en Amérique le détail de son quotidien conjugal, ses rêves déçus, et plus encore.
Enfin au troisième, le lecteur écoute les confidences de Dvora, adressées à son mari décédé, sur son vieux répondeur téléphonique. Une très belle dernière partie où cette veuve, juge à la retraite, va réaliser tout ce qu'elle s'était interdit de faire afin de ne pas déroger aux règles imposées par la société, la bien-pensance, et la rigidité morale de son mari, où elle va enfin se libérer des entraves et renouer les liens. J'ai vraiment adoré cette dernière partie toute en finesse, en nuances, en introspection, en émotions, en délicatesse, servie par une plume adroite qui crée de subtils liens entre les étages…
Très belle découverte que cet auteur israélien avec une mention spéciale à la traduction qui sans aucun doute aura su imprimer une ambiance littéraire différente à chacun des étages et en rendre les différences de style.

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Nous avons tous fait l'expérience un jour d'observer un immeuble, en début de soirée, alors que les lumières des différents appartements s'allument peu à peu, que les profils, les silhouettes se meuvent, se croisent, que les intérieurs se révèlent à nous, cocons chauds et confortables ou pièces vides et froides. Témoins de ces ombres chinoises entraperçues et fascinantes, nous essayons alors d'imaginer ces multiples vies, les odeurs qui émanent de chaque cube, les histoires de famille qui s'y trament, familles fonctionnelles ou dysfonctionnelles ainsi abritées et superposées, les bonheurs vécus qui irradient, débordant un peu du carré dans lequel on tente de les contraindre, les drames aussi, forcément, qui les font vibrer ces murs trop étroits. Ayant grandi dans une cité HLM qualifiée de « chaude » de la banlieue lyonnaise, petite fille, sans jeux vidéo ni téléphone, cette occupation me fascinait et m'absorbait des heures durant. C'était une porte formidable vers l'imaginaire. Je voyais, imaginais, devinais sans doute. Et surtout j'avais toujours l'impression que ces vies étaient plus intéressantes que ma propre vie. Soit plus heureuses, soit plus dramatiques. Est-ce sur la base de cette même fascination qu'Eshkol Nevo, psychologue de formation, a écrit ce livre « Trois étages » ?

Dans tous les cas le résumé de cette histoire ne pouvait que m'attirer et me faire écho : Un immeuble en Israël, de nos jours, non loin de Tel Aviv, où nous découvrons ce qui se cache derrière les portes de trois familles de bourgeoisie moyenne, chacune à un étage différent. Trois familles, trois étages. Trois voix, trois formes de confession différentes, trois façons de s'exprimer. Présentés sur le tryptique freudien : le ça, le moi et le surmoi. Brillant parallèle. L'idée m'a immédiatement plu et j'avoue avoir lu ce livre d'une traite, entre inquiétudes et franches rigolades, entre questionnements et réel intérêt, entre émotion et admiration.

Au 1er étage, le « ça » donc, la partie la plus obscure et impénétrable de notre personnalité, satisfaisant les besoins pulsionnels, primaires et instinctifs selon Freud. Incarné, pourrait-on dire, par Arnon, époux impulsif et amoureux, voisin explosif et père de famille possessif de deux petites filles dont la jolie Ofri avec laquelle il a une relation fusionnelle : « C'est comme ça. Tant que tu n'as pas une deuxième fille, tu ne comprends pas vraiment ta première. Grâce à Yaëli, nous avons compris à quel point Ofri était exceptionnelle. Son calme si rare. Son endurance. Toutes ses maîtresses ont toujours vanté sa précocité. Mais ce n'est qu'après avoir vécu tous les drames liés à Yaëli que nous avons compris ce qu'elles voulaient dire.». Arnon va se livrer, au bistrot du coin, à un copain apparemment un peu écrivain, espérant que ce dernier lui imagine un happy end car oui, vraiment, il s'est mis dans une sacrée situation. Je n'en dis pas plus, je n'ai pas pu lâcher le livre avant d'avoir terminé cette première partie.

Poursuivons la visite et montons à présent au 2ème étage où nous découvrons le « Moi » tiraillé entre la folie qui rôde et la conscience qui assagit, entre fantasme et réalité. le « Moi » qui essaie justement de concilier nos désirs avec le principe de réalité, incarné par Hani, une mère de famille, femme au foyer. Elle se livre via l'écriture, une lettre pour sa meilleure amie qui vit loin, trop loin, longue lettre où délires, fantasmes, amertumes, craintes, espoirs sont pèle mêle jetés, surtout sa peur de la folie qu'elle sent rôder à l'image de ces deux chouettes visitant tous les jours son balcon. Elle doit lui confier un « secret » également. Cette lettre est un appel à la mer, pour cette femme esseulée qui tente de se lier avec d'autres familles, en vain : « Il s'avère que de participer seule à des excursions de familles (et, de manière générale, à des activités sociales en banlieue) représente le vice extrême. Un crime contre la bourgeoisie. Un écueil propre à faire chavirer l'arche de Noé. Car, au total, que se passe-t-il ? – si l'on dissèque succinctement le phénomène. Les hommes te regardent différemment quand tu es seule (même une mère de deux enfants, en collants usés et avec le T-shirt de fin de classes militaires d'Assaf). Et les femmes, qui remarquent les regards affamés de leurs bonshommes sur ta silhouette, paniquent et te ciblent comme un danger potentiel. Elles te posent des questions sur ton mari, pour rappeler à qui de droit qu'une telle créature existe. « Quand sera-t-il de retour ? Ce n'est pas trop difficile pour les enfants qu'il soit absent aussi longtemps ? Toutes mes félicitations de participer quand même à nos randonnées, moi, je serais restée chez moi. » J'aime ce style mêlant à la fois cynisme et humour. Un style tranchant. Percutant.

Enfin terminons cette expérience de voyeurisme au 3ème étage avec le « Surmoi », intériorisation des interdits et représentation des exigences parentales, sociales et culturelles, contrôle de soi, domination des pulsions. Incarné par Dvora, juge à la retraite. Sa confession, à son mari défunt, se fera par le biais d'une vieille messagerie qu'ils utilisaient dans le passé. de multiples messages touchants d'une durée de deux minutes. Dvora cherche à sortir de sa culpabilité vis-à-vis de son fils qui a coupé tout lien avec elle, et cherche un nouveau sens à sa vie.

Des liens existent entre les étages. Notamment Dvora qui, comprenant ce qui se passe aux étages inférieurs, aurait envie de secouer pulsions et ego : « Réveillez-vous, citoyens de Bourgeville. Laissez là vos parties de poker et votre inquiétude excessive pour vos enfants, et les infidélités minables que la vacuité de votre existence, et non le désir, favorise. Levez-vous de vos fauteuils télé trop confortables et plaquez vos conseillers en investissements qui vous suggèrent de prendre un crédit et d'acheter un autre appartement dans un immeuble comme celui-ci, dans une banlieue semblable à celle-ci. Réveillez-vous de votre manque de foi, de votre manque d'engagement et de votre indifférence. Réveillez-vous de votre trop-plein de vacances, de voitures, d'appareils électriques, de clubs d'activités pour vos chères têtes blondes. Non loin de vous, une chose très importante est en train de se produire. Et, vous, pendant ce temps, vous roupillez ».


Saluons la traduction de Jean-Luc Allouche qui a réussi le tour de force de bien rendre les styles très différents des protagonistes : les propos francs parfois vulgaires d'Arnon, l'écriture passionnée et flamboyante de Hani et enfin la voix posée et argumentative de Dvora ; Des styles bien en phase avec le tryptique freudien qu'ils sont censés représenter à chaque étage. Il utilise par moment des expressions bien à nous, étonnée par exemple de trouver celle-là (que j'aime beaucoup) : « Je lui ai dit que je voulais des réponses, pas des explications à la mords-moi-le-noeud, et que cette femme était la seule personne capable de me les donner ».

J'ai lu ce livre quasiment d'une traite. L'écriture est percutante, le sujet original, la construction brillante et intelligente. C'est mon premier livre d'Eshkol Nevo, et je sens que c'est le début d'une longue histoire de lectrice avec cet auteur.
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Un roman très agréable à lire, composé de trois chapitres, trois nouvelles, trois étages.
Chaque étage du même immeuble compose un chapitre et on se doute bien qu'un des personnages de l'un des étages va être en lien avec un des personnages de l'autre étage et ainsi de suite, et en effet, sur ce principe de construction, pas de surprise.
Alors où est la surprise de ce roman ?
Il me semble que c'est… à chaque chapitre-étage, l'auteur met un narrateur qui raconte, ou écrit, à un de ses proches (ami, frère, amie)… sans que le lecteur ne soit assuré de la réalité de la destination. Ce besoin de se raconter. Alors, l'un raconte à son frère, réel ou imaginaire, franchement, on peut se poser la question, l'autre écrit à son amie qu'elle n'a pas vue depuis vingt ans, donc cette lettre on imagine va se perdre, et enfin, la dernière enregistre sur un répondeur des messages à son mari qui est mort. Donc là on a bien compris, aucun de ces messages un peu testamentaires ne parviendra ou ne sera parvenu à son destinataire.
Pourquoi ? Parce que ces trois personnages ont loupé le vivant. Et ils se retrouvent gros jean comme devant, moins vivants que les morts dont ils nous parlent.
Et là le message de l'auteur est implacable. Et urgent.
Les histoires s'imbriquent les unes dans les autres habilement, les personnages sont tous sympathiques, oui, tous, ils passent vite, parfois, mais je les tous aimés, car tous compréhensibles dans leur histoire, et ce roman est du coup aussi une belle leçon de tolérance, de bienveillance, de fraternité, mais sans sucre. Au contraire, plutôt brut de coffre.
La construction du roman est intéressante, les personnages sont tous, aimables, les problématiques abordées, sensibles, humaines et toujours avec un petit sourire en coin.
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Trois étages, trois fragments de vie dans un immeuble de Tel-Aviv, trois personnes qui ressentent le besoin de raconter à un ami, une amie, un mari parti trop tôt leurs souffrances, les bouleversements dans leur vie. Ainsi se croisent sans vraiment se voir Arnon, Hani et Déborah. J'ai beaucoup aimé la narration originale ! La destination de chaque histoire n'est jamais celle attendue. Eshkol Nevo nous promène, nous tient en haleine et raconte sur un ton à la fois touchant et grinçant les petites choses du quotidien, sous le regard parfois absurde mais souvent perspicace de Freud. Un roman choral captivant et surprenant. J'ai passé un très bon moment en compagnie de ces voisins pour une petite parenthèse dans la vie israélienne.

Je lis beaucoup de romans classiques, de romans « qu'il faut avoir lu ». D'une part en vue de l'ouverture de ma librairie, pour consolider ma culture générale ; d'autre part, il faut bien l'avouer ce sont souvent de vrais chefs d'oeuvre et la lecture en est sublime. Et parfois, cela arrive aussi, je reste hermétique. Je ne comprends pas pourquoi un ouvrage a fait tant de bruits. Et puis je sors de ce sentier tout tracé, je glane une lecture plus atypique, au gré d'un conseil, d'un passage en librairie et je découvre un auteur dont je n'avais jamais entendu le nom, une plume qui mériterait certainement plus d'écho. Ce fut le cas avec ce roman d'Eshkol Nevo. Auteur peu connu en France qui n'a même pas sa page Wikipedia en français !
J'ai aimé l'écriture qui change au fil des personnages qui parlent, nous permettant de nous représenter réellement les sentiments de ces habitants d'un immeuble de Tel-Aviv : frustration, rage, égarement, prise de conscience, ennui. J'ai aimé les petits clins d'oeil à la vie de l'un ou l'autre des voisins, lorsque l'on change d'étage, donnant un regard extérieur sur la situation vécue précédemment. J'ai aimé la façon douce et caustique que l'auteur a de raconter un quotidien parfois bien insipide que nous comblons du mieux que nous pouvons, souvent de manière maladroite, parfois avec une réelle volonté de changer. J'ai aimé être surprise, ne pas être entraînée là où je le pensais au départ, mais bien plus loin. J'ai aimé toutes ces portes ouvertes sur une intimité, des choix, des réflexions pertinentes, des moments de vie.
Alors ce n'est pas un chef d'oeuvre, un roman « qu'il faut avoir lu », mais c'est à n'en pas douter un auteur à découvrir, un roman à dénicher !
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