Avec ces phrases courtes et ces répétitions incessantes, l'auteur avait sans doute voulu rendre le trouble du héros, son obsession pour l'autre gars et son basculement dans une sorte de folie. Mais pour Joseph, qui lisait à haute voix dans sa tête, le procédé s'avérait rapidement assommant. Il avait l'impression de subir la sono de l'une de ces fêtes sauvages pour amateurs de musique techno.
- Ses premiers romans... J'en ai parcouru quelques uns pour préparer l'émission...
- Et
- Et ce n'est pas très bon. Excusez-moi, hein! ponctua le chroniqueur comme s'il venait de remarquer la présence de Thomas sur le plateau. C'est mal écrit, c'est laborieux, c'est bancal et en plus, c'est... chiant au possible. Désolé, hein! À ce niveau-là, c'est plus du roman de gare, c'est du roman de déchetterie.
On est en train de m’accuser d’avoir tué un… personnage de fiction ? C’est ça ? Mais c’est de la folie ! On est dans du Kafka…
L’amour restait de l’amour, non ? Peut-être que le mauvais destinataire pouvait quand même s’en repaître ? Ou s’en contenter ? Mais non. C’était du sel sur ses blessures.
J’aime la chaleur qui m’emplit quand la vodka coule en moi. Je la sens dans ma bouche, dans ma gorge, dans mon estomac. Je prends conscience de la réalité de mon tube digestif. De ma qualité de bête humaine. Et j’aime ma tête qui tourne et la volonté qui me fuit. Tu t’empares d’elle, comme de la bouteille. « Ne bois pas tout » tu dis. Et tu tètes au goulot, puis tu coinces la bouteille entre tes jambes.
Il avait cru laisser ses angoisses à Paris, cru son éditeur quand celui-ci avait affirmé : « Ceux qui aboient ne sont pas ceux qui mordent. Bienvenu dans le monde féerique des célébrités. »
La vie n’était pas très bien faite. Il avait passé une grande partie de sa carrière à courir après les heures de sommeil perdu, d’enquêtes en gardes à vue interminables, de filatures nocturnes en arrestations matinales. Et voilà qu’à la retraite, maintenant qu’il pouvait dormir autant qu’il voulait, le sommeil le fuyait, même si la fatigue, elle, le rattrapait dès le repas du soir avalé.
Par jeu probablement pour l’un – « tu », qui est sans doute fou –, par amour sûrement pour l’autre – « je », qui sombre malgré lui. Tout est dans le non-dit, le ressenti. C’est à la fois subtil et très cru, à la fois réaliste et assez poétique, certains pourront dire « abscons ». Pas moi. J’ai beaucoup aimé et je comprends parfaitement votre succès. C’est une plongée en apnée dans les tréfonds de l’âme humaine. La vie, la mort, l’amour, le remords, tout est là. Alors bien sûr, c’est écrit comme un cri. Il ne faut pas y chercher de belles formules ou de grandes phrases. Mais pris dans leur ensemble, tous ces paragraphes sans prétention littéraire forment un tout grandiose. Étouffant, mais très beau. Pour moi, c’est peut-être l’une des plus brillantes autopsies des « vices unis à l’humaine nature », pour citer Molière.
Car Chute n'avait rien d'un roman, Joseph en tait maintenant convaincu. Non. Le livre était une confession. Et l'ancien policier allait se focaliser sur son auteur.