Bien sûr, on m'avait prévenue, « le dernier Gaëlle Nohant, c'est du lourd ! ». Bien sûr, je sais nos émotions si souvent jumelles, si souvent en écho, mais je sais également la douloureuse possibilité d'un rendez-vous manqué, même après une attente fiévreuse et fervente. Bien sûr, je devine entre silences prolongés et conversations clairsemées le travail pharaonique, les recherches « archiviques », le découragement Titanic devant l'ampleur de cette tâche, même volontaire, même choisie, comme un Everest après l'Everest, un chemin à poursuivre, un relai à transmettre, un défi à relever. Il y avait eu Robert et sa
Légende d'un dormeur éveillé, inoubliable
Desnos resurgi de ses cendres sous l'impulsion inspirée du talent de Gaëlle Nohant, voici que se lèvent à sa suite Eva, Wita et Lazar, voici que s'éclairent les vies d'Elvire, de Lucia, de Karol, les voix de Julka, de Rudi, de Sarah, voici que se glisse, entre nuit et brouillard, la petite lueur obstinée d'une Irène, d'un Henning, ou d'une Janina, parce que l'histoire ne s'arrête pas là, parce que la vie s'obstine après la mort, parce que les liens défaits ne demandent qu'à se renouer. Pour l'International Tracing Service, infatigable « Bureau d'éclaircissement des destins », s'il est une certitude c'est que tous les objets inanimés dont il est le dépositaire ont une âme, celle des hommes, des femmes, des enfants auxquels ils ont appartenu et ont été arrachés en même temps que leur vie. Sa mission, autant que faire se peut, est de suivre leur maigre piste et de rendre, en même temps qu'un médaillon, un pierrot de chiffon ou quelques mots griffonnés, la dignité d'une vie et d'une histoire à ceux qui les avaient perdues, de renouer les fils des souvenirs où l'Histoire les avait tranchés net.
Usant d'une langue limpide et sensible où toute la beauté consiste à ne mettre en avant que ces parcelles de mémoire raccommodées avec patience, Gaëlle Nohant, à l'image de sa très attachante Irène, parvient à jeter un pont fragile entre une époque pas si lointaine dont on croyait tout savoir et une réalité bien actuelle dont on préfère ignorer certaines évidences inconfortables. Baptisant chacun de ses chapitres d'un prénom, elle façonne tous ses personnages en jalon de l'Histoire en marche, en chaînon de cette longue chaîne humaine qui la fait ce qu'elle est, dans toute sa grandeur et toute son horreur. Pas à pas, au rythme des recherches d'Irène, elle nous invite à avancer les yeux grands ouverts, à contempler le beau comme l'ignoble, livrés l'un et l'autre dans ce qu'ils ont de plus cru, en toute sobriété et sans sensiblerie. Et lorsque jaillissent nos larmes, sous la violence d'un coup de crosse ou la douceur d'une berceuse, on ne peut s'empêcher de penser que, cette fois encore, Gaëlle Nohant a relevé le défi et planté dans nos âmes de lecteurs le petit drapeau de celle qui a vaincu l'oubli.
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