Pendant que son esprit dessinait des plans romanesques, elle se sentait vraiment heureuse. En général, le monde imaginaire qu’elle créait, se déplaçait autour de Laurent et d’elle-même. Ils en étaient les deux personnages principaux, et leurs aventures, pour extraordinaires qu’elles fussent, se terminaient toujours bien.
Aujourd’hui, le rêve avait abouti à une idée, une idée géniale, une idée qui allait « réellement » effacer la grisaille des journées, apporter la richesse, chasser le doute et l’ennui.
Il lui ferma la bouche d’un long baiser et s’émerveilla, une fois de plus, de sentir ses artères s’enfiévrer de bonheur au contact du corps souple de Claire. Son amour était aussi vivant, aussi passionné qu’au début de son mariage.
Blottie dans les bras de son mari, Claire retrouvait avec les mêmes délices que chaque soir, la joue un peu rugueuse, la légère odeur d’antiseptique, et le contact de la sèche étoffe de tweed.
Courageusement, elle supporterait le poids du remords.
Et, dans cette minute où elle fut moins attentive à son propre bonheur qu’à celui de l’aimé, elle eut brusquement la révélation du véritable amour. Un amour fait du renoncement de soi.
Une femme avertie naissait de l’épreuve, capable, croyait-elle, de bâtir, avec sa tendresse vigilante, un avenir aussi radieux que cette matinée d’été.
Travailler vaut peut-être mieux pour toi que continuer à te morfondre dans un rez-de-chaussée sans soleil et sans horizon, dit-il en soupirant. C’est mon égoïsme qui me cachait ton ennui. Au fond, je sais ce qui te manque. Tu aimerais dorloter, pouponner… Puisque nous n’avons pas d’enfant, il faut te contenter d’un palliatif…
Vous savez que le normal frôle souvent le pathologique. Rappelez-vous seulement quelle femme admirable elle pouvait être : courageuse et bonne, et acceptez simplement cette fortune qui vous permettra d’atteindre votre idéal et d’abandonner la situation d’attente où vos dons se rouillent et où vous vous morfondez.