Quel que soit le choix que tu décideras de faire, je crois maintenant qu'il faut que tu te retires ça de la tête, Eve : ce n'est pas le seul chemin
Quel que soit le choix que tu décideras de faire, je crois maintenant qu'il faut que tu te retires ça de la tête, Eve : ce n'est pas le seul chemin.
Parfois, une simple remarque peut toucher bien plus profondément qu'on ne l'imagine.
Dans ma tête résonne une phrase que j'avais entendue dans un documentaire sur l'école de danse : "C'est une école d'élite et il y en a qui partiront car ils n'ont pas le physique."
C'est ma hantise.
Le reste, je peux agir dessus : la technique, la grâce... Mais le physique, c'est bien moins facile à dominer. D'autant qu'à l'adolescence, le corps change parfois beaucoup. Et ça, on n'y peut pas grand-chose.
- C'est la seule enfant de couleur de l'école, visiblement... Et c'est vrai que ça ne doit pas être très habituel, ici !
Ma mère s'apprête à répondre et, vu sa tête, j'ai bien peur que ce ne soit cinglant. J'imagine ce qu'elle pourrait dire - que l'expression enfant de couleur, ça ne veut rien dire ; que les préjugés, comme le fait que les Noirs sont meilleurs en hip-hop ou en street dance, ont la vie dure...
Ici, être blessée, c'est être hors jeu, la souffrance physique fait partie du parcours.
Dans une des poches de la valise, je tombe sur un dessin. Celui que j'avais fait pour Amélie et que je n'avais pas voulu lui donner, trop attristée par ce qu'elle venait de m'apprendre : mon dessin ne correspondant plus à rien.
Je le regarde et souris toute seule : il représente les gradins de l'Opéra, vus depuis la scène. Comme si c'était Amélie qui regardait le public.
Au premier rang, je m'y suis dessinée. Petite spectatrice fascinée.
Et à côté de moi, j'ai dessiné une autre adolescente, noire.
Noire comme moi.
Hawa.
(...) "Moi-même je n'en reviens pas d'avoir tout ça sur le coeur et que cela sorte seulement maintenant.
Mon amie murmure presque : "Mais je ne comprends pas . Tu es si douée et ... (...)"
Je repense à ma promesse, celle que je me suis faite à Hawa : celle de devenir une grande danseuse. Avais-je conscience, à l'époque, du prix à payer ? Celui de l'éloignement, de la solitude, des efforts, des douleurs ?
Les coulisses des magnifiques chorégraphies et des danseuses parfaites ne sont pas si merveilleuses que ça, vues de l'intérieur.