« Les grandes tables en bois de châtaignier gémissaient sous le poids des assiettes, des plateaux, des plats et des bols. Le festin était là tout entier. Tous les mots du livre, tous les fruits de tous les jardins, de tous les arbres et toutes les plantes dont l'humanité pouvait rêver, toutes les créatures de la terre, de l'eau ou de l'air. John sentit son démon se réveiller en lui à l'instant où un flot de senteurs et de saveurs l'inonda, celles des plantes que sa mère lui avait montrées sur les flancs de la colline, et d'autres qu'il n'avait jamais connues. Il sentit sous son palais la riche et forte saveur des viandes. Les arômes du vin lui faisaient touner la tête. Les friandises amoncelées sur des assiettes d'argent activaient douloureusement ses mâchoires, tandis que des syllabes de miel tremblaient dans leurs timbales. Il sentit les gâteaux lustrés de beurre battu craquer sous ses dents, et la couche de sucre crépiter. Les confiseries inondaient ses sens, chassant le froid et la faim. Une longue procession de plats se présentait au fil des pages, et tous leur étaient destinés. »
Toutes les plantes, toutes les créatures florissantes. Toutes avaient leur place à la table de Saturne
C'était un grand édifice qui semblait s'enfoncer dans la verdure et déployer ses deux ailes comme un grand oiseau de pierre cherchant à prendre son envol pour s'arracher à la terre. Plusieurs étages de fenêtres s'élevaient jusqu'à une plate-forme flanquée de tourelles, hérissée de flèches et surmontée de dômes et de coupoles, ou descendaient vers d'invisibles cours intérieures. Derrière cette terrasse se dressait une tour plus haute, dont le toit en pente raide pointait vers le haut comme une lame. Un clocher d'église, pensa John. Il regarda sa mère;
-Qu'est-ce que c'est ?
- Le Manoir de Buckland, dit-elle sèchement.
- Là où vit Sir William ?
- Sans doute. Depuis onze ans, personne ne l'a vu hors de son château.
Onze ans, s'étonna John. C'était la durée de sa vie.
- Jamais ?
- Peu sont ceux également qui l'ont vu à l'intérieur de son manoir. Il interdit à ses serviteurs de le regarder. C'est ce que j'ai entendu dire.
« Toutes les nuits, une fois le travail aux cuisines terminé, John se glissait dans les corridors, une bougie de fortune à la main, en direction des appartements du Maître Cuisinier. Mais au croisement des couloirs, il déviait de son chemin. Il poussait la porte tout au bout, traversait la cuisine déserte et grimpait l'étroit escalier qui conduisait à la Galerie Solaire. La lune y répandait une lumière spectrale. Elle courait dans le ciel au-dessus des pelouses et des chemins tapissés de neige et jetait sa lueur blafarde à travers les hautes fenêtres à battants. Mais quand elle se couchait, la galerie était plongée dans l'obscurité. Sous la porte de la Chambre tout au fond brillait un rai de lumière. Lucretia l'attendait. »
Prenez les meilleurs fruits des réserves naturelles de la terre ou du paradis
Les arômes du vin lui faisaient touner la tête. Les friandises amoncelées sur des assiettes d’argent activaient douloureusement ses mâchoires, tandis que des syllabes de miel tremblaient dans leurs timbales. Il sentit les gâteaux lustrés de beurre battu craquer sous ses dents, et la couche de sucre crépiter