Ces derniers temps, quand je rangeais le grenier, ou quand je faisais les cartons en prévision du départ, il m’arrivait de les feuilleter. Ils évoquaient des jours heureux à travers le filtre adoucissant du temps. C’était comme vivre à l’intérieur d’une boîte de chocolats.
C’est vraiment dur d’être encore jeune et de se sentir inutile.
Notre vie ronronne. Je déteste les gens qui ne se posent jamais de questions et qui ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans un petit univers protégé. On a tous besoin de se secouer un peu.
Cet écart de langage dans la bouche de ma sœur était particulièrement choquant parce que, d’ordinaire, elle s’interdisait les gros mots devant les enfants. Ma mère avait dit un jour en arrivant à l’improviste dans ma chambre et en m’entendant jurer : « Seules les personnes limitées dans leur vocabulaire ont recours à ce genre de grossièretés. »
Ma sœur est épanouie comme une pivoine. Plus elle s’arrondit, plus elle est belle. Elle a sûrement posé pour Botticelli dans une autre vie. Elle ressemble à sa Vénus, enveloppée de cheveux serpentins couleur de miel, le nez légèrement busqué, les sourcils arqués. On dit que nous nous ressemblons autant que des jumelles, mais la comparaison ne me plaît pas beaucoup. Lou ne pourrait jamais, au grand jamais, rentrer dans mes jeans.
Le pays est peuplé de tant d’immigrants que les gens ont tous une histoire à raconter. Je me demande combien d’entre eux disent la vérité.
Ma mère avait simplement une personnalité tellement forte et tellement critique qu’elle a élu domicile dans mon crâne dès mes trois ans. Depuis, je fais des effort désespérés pour l’en chasser. Il arrive qu’elle disparaisse pendant plusieurs mois, mais elle revient fatalement quand ça ne va pas pour retourner le couteau dans la plaie.Ça soulage de dire la vérité, insiste-t-elle.La vérité. Je la considère, la vérité. Je la considère sincèrement. Je la tourne et la retourne dans ma tête en la gardant à distance pour ne pas me laisser submerger. Je l’étudie sous tous les angles comme une image en 3-D sur un écran d’ordinateur. Et sur cet écran, je vois la police, et un tribunal, et la prison. Un désastre.
J’aurais tellement besoin d’un visage ami, d’avoir à mes côtés quelqu’un qui m’aime et me fasse confiance parce que nous nous connaissons depuis toujours. Je n’ai pas de vieux amis, ici. Ni ici, ni dans tout le pays, ni même dans cet hémisphère. Il n’y a personne qui me connaisse vraiment, excepté mon mari et mes enfants – et encore. Je me recroqueville en montant les genoux sous mon menton, les pieds posés sur le siège en plastique comme une SDF un jour de cuite. Je dois faire pitié, car une infirmière entre dans la cabine d’examen et tire le rideau. C’est une femme soignée qui porte des frisettes sur le front. Dès qu’elle ouvre la bouche, je reconnais un accent familier. Elle vient de Liverpool, probablement. — Comment ça va ? De la compassion de circonstance, mais c’est mieux que rien.