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Critique de HundredDreams


« le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n'y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles. »
William Shakespeare

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Avez-vous l'esprit joueur ? Que seriez-vous prêt à miser pour pimenter votre vie, vous divertir, obtenir une récompense ou bien rembourser une dette ? Mettriez-vous en jeu des années de votre vie, vos souvenirs, votre santé, la vie d'un de vos proches, … ?

« Miseriez-vous votre bonheur ? Joueriez-vous votre amour-propre ? Au nom du ciel, ne jouez pas pour le plaisir, pas encore ; pas alors qu'il existe tant d'enjeux moins importants en lesquels investir ! »

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Après « 24 vues de Mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny, j'ai eu envie de piocher à nouveau dans la très jolie collection de novellas, « Une heure-lumière », aux éditions le Belial.
Mon choix s'est fixé sur le premier volume d'une trilogie intitulée « La maison des jeux » de l'autrice Catherine Webb, plus connue sous le nom de Claire North.
Cette jeune autrice amène beaucoup de fraîcheur à la littérature de l'imaginaire. Elle a un talent certain pour nous entraîner dans des histoires aussi inattendues que fascinantes.

Ce premier court récit, « le Serpent », nous convie à entrer à l'intérieur la Maison des Jeux, un endroit mystérieux, réservé aux seuls initiés. Au cours des siècles, cette organisation secrète a joué sur de nombreux territoires, manipulant les hommes comme s'ils étaient de vulgaires pièces d'un jeu, favorisant leur ascension, ou au contraire, les renversant sans aucune pitié.

« La Maison des Jeux est… ancienne. Elle n'est pas limitée à un seul lieu mais possède des portes dans le monde entier. Cette partie livrée à Venise est l'une des centaines, peut-être des milliers, qui se jouent en des lieux dont vous ne rêvez même pas… »

En ouvrant ce roman, le lecteur réalise qu'il fait partie intégrante de l'intrigue en tant qu'observateur. Cela lui donne l'impression d'être témoin, figurant, arbitre ou même parfois conspirateur.

« Venez.
Observons ensemble, vous et moi.
Nous écartons les brumes.
Nous prenons pied sur le plateau et effectuons une entrée théâtrale : nous voici ; nous sommes arrivés ; que fassent silence les musiciens, que se détournent à notre approche les yeux de ceux qui savent. Nous sommes les arbitres de ce petit tournoi, notre tâche est de juger, restant en dehors d'un jeu dont nous faisons pourtant partie, pris au piège par le flux du plateau, le bruit sec de la carte qu'on abat, la chute des pions. »

Cette histoire nous emmène au XVIIème siècle dans la très romantique ville de Venise. Elle va devenir le plateau d'une immense partie de jeu à ciel ouvert, dont l'enjeu est la place d'inquisiteur au Tribunal Suprême, suite au décès d'un de ses membres.

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Thene est une jeune femme intelligente, récemment marié sans amour à un homme de plusieurs années son aîné, joueur compulsif qui dépense sa dote en ivrognerie et en dettes de jeu.

« Pardonnez-moi, dit-il, je m'exprime mal. Voulez-vous jouer ? »
Thene considère le dos de son mari, les verres vides à son côté, les pièces de monnaie sur la table ; elle se rend compte qu'elle a de la colère sur les lèvres, une tempête au creux du ventre, et les mains douloureuses — se retenir de les crisper les rend brûlantes. Aussi, avec dans la voix la douceur d'une brume hivernale, elle répond simplement : « Oui. »

Tous les joueurs ne se montrent pas dignes de concourir dans la ligue supérieure.
Remarquée alors qu'elle accompagne son mari dans la partie basse de la Maison du Jeu, Thene est invitée à accéder à la Haute Loge pour des enjeux beaucoup plus importants. La Maîtresse des Jeux lui propose de participer au jeu de rois avec trois autres candidats.
Si elle gagne, elle obtiendra ce qu'elle désire le plus au monde. On peut aisément comprendre ce qui va pousser la jeune vénitienne à accepter. Bien sûr, la récompense est proportionnelle à la mise en jeu.
La vie semble être un divertissement !
Le jeu semble être une métaphore de la vie !

Chacun des quatre compétiteurs reçoit une boîte en argent contenant les règles du jeu, des informations concernant le roi qu'on leur a attribué et des cartes de tarot qui ont été préalablement distribuées entre les joueurs de manière aléatoire.
Pour gagner, le candidat au poste d'inquisiteur doit remporter le vote du Sénat.

Les cartes partagées sont comme les pièces des échecs : au joueur de les utiliser avec discernement et de les placer au bon endroit au bon moment pour protéger son Roi ou placer le Roi adverse en situation d'échec et mat. Mais à la différence d'un jeu traditionnel, ces cartes sont de véritables personnes.

« … les pièces de ce jeu ne sont pas aussi simples que des pions sur un plateau : elles ont des secrets, des fiertés, et, quoique les règles du jeu stipulent qu'elles lui appartiennent, elles aussi doivent être façonnées pour devenir quelque chose de plus. »

Les leviers sont nombreux pour jouer et accroître l'influence de son Roi : l'argent, l'amour, la honte, l'amour, la menace, la jalousie, la vanité, la manipulation, le meurtre, …

« … ce qui compte, c'est la victoire — gagner. le reste n'est qu'une cage. »

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Ce qui est particulièrement prenant, c'est le fait que la stratégie de ses adversaires nous soit totalement dissimulée, le lecteur étudiant uniquement le jeu de Thene.
De cette manière, en tant qu'observateur, on la voit évoluer, mûrir et prendre de l'assurance à travers son habileté à choisir et déplacer ses pièces.
Cependant, comme nous restons à distance, nous ne pénétrons que superficiellement ses pensées. Cachée derrière son masque, la jeune femme garde ainsi une part de mystère, entretenant notre envie de suivre l'évolution du jeu, nous s'attachant à elle.

« L'assassinat est un coup grossier. Tuez une pièce trop tôt et les autres joueurs se voient renforcés par son absence. Avec quatre joueurs, il y a un équilibre, des forces qui s'exercent dans toutes les directions, des ressources qui s'épuisent. Ma pièce paraît… plus faible que je ne l'aimerais, mais il peut s'agir d'un avantage. Que les autres joueurs dépensent des cartes à se combattre, les forts se déchirant les uns les autres jusqu'à devenir assez faibles pour que je puisse m'en prendre à eux. Un assassinat immédiat détruirait cet équilibre — qui devra bien s'effondrer un jour, mais il est encore trop tôt. »

J'aime lorsque la psychologie des personnages est bien développée. Ici, elle n'est pas fouillée, sans que cela m'ait gênée.
Au contraire, j'ai trouvé que cela renforçait le mystère autour de la maison des Jeux, du jeu des rois et de ses participants. L'autrice s'est en effet surtout concentrée sur un scénario que j'ai trouvé de qualité, sans pour autant négliger des réflexions philosophiques ou politiques.

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Chaque avancée dans le jeu, chaque utilisation d'une pièce du tarot par la jeune femme donne lieu à un chapitre. Il en résulte que le lecteur n'est jamais perdu dans les nombreux personnages qui ont chacun leur personnalité et un rôle bien défini à jouer en fonction de leur attribut. En outre, le choix de chapitres courts donne un rythme très plaisant à la lecture, les rebondissements s'enchaînant sans aucun temps mort.

Si Catherine Webb mène de main de maître la mise en scène, les interdépendances entre les personnages et la construction du récit, elle a une corde de plus à son arc, celle de l'écriture, irréprochable.
Je l'ai trouvé très visuelle, fluide, simple tout en étant très agréable à lire. A cela, j'ajouterais une petite pointe d'originalité supplémentaire par la narration à la première personne du pluriel, comme si l'histoire était racontée par des observateurs invisibles dont nous ferions partis.

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Il faut d'autre part souligner l'esthétique du livre, comme celui du plateau de jeu sur lequel les candidats évoluent.
L'autrice donne un design actuel et immersif à son récit en mélangeant astucieusement l'atmosphère romantique et surannée de Venise et l'univers très actuel du jeu de rôle, comme si nous étions conviés à une sorte d'Escape Game grandeur nature.

J'ai adoré me balader dans cette ville pleine d'un charme baroque, désuet et pittoresque à la fois. Je me suis laissée emportée par la magie et le mystère de la lagune vénitienne, la magnificence des palais bâtis à fleur d'eau, malgré la crainte des ruelles sordides et sombres des quartiers mal famés.

« Elle court, elle court, elle court ! Il est heureux qu'elle connaisse bien cette cité car, à Venise, il est parfois difficile de trouver le soleil, les rues se tordent et s'enchevêtrent, les canaux sinuent de-ci de-là et leurs lents méandres trompent le voyageur innocent. »

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Pour conclure, ce premier tome est une belle entrée dans la trilogie de la « Maison des Jeux ». Il s'achève en ouvrant une porte sur le second volume. Il ne m'en faut pas plus pour vouloir m'engager sur un nouveau plateau de jeu encore plus vaste, avec de nouveaux compétiteurs.

Si vous aimez les thrillers fantastiques originaux, les beaux décors, les intrigues complexes et prenantes, ne passez pas à côté de cette petite novella.

« Tout est hasard. La nature est hasard. La vie est hasard. La folie des hommes est de chercher des règles là où il n'y en a pas, d'inventer des contraintes là où aucune n'existe. Tout ce qui compte, c'est le choix. Alors choisis. Choisis. »

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Merci à mes deux compagnons de route, NicolaK et Patlancien, observateurs à mes côtés.
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