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Critique de Olivia-A


Fraîchement débarquée dans le monde merveilleux et tant attendu de la multinationale japonaise Yumimoto, la jeune Amélie déchante bien vite. de consignes absurdes en réactions démesurées, son quotidien est riche en rebondissements et péripéties. D'abord embauchée comme interprète, elle est rapidement reléguée au rang de comptable puis, devant son incapacité manifeste à remplir cette tâche, elle est nommée dame pipi en chef des toilettes du quarante-quatrième étage – inutile de préciser que ce poste n'a pas d'équivalent dans aucun autre des nombreux étages de la tour Yumimoto. Sa fascination pour le vide et son cynisme décapant lui permettent de tenir son poste jusqu'au bout, de ne pas perdre la face dans cette société où le travail est la clé de voûte de la vie de chacun : elle partira avec honneur, à la japonaise, en démissionnant comme il se doit.
Un livre sur le choc des cultures ou sur l'absurdité des métiers du capitalisme? Question difficile à établir. Certes, certains codes décrits par Amélie Nothomb dans son roman sont définitivement propres à la culture nippones, obligation de s'auto-flageller pour expliquer sa démission par exemple, d'autres événements sont étrangement proches de ce qu'on peut rencontrer dans des entreprises occidentales. Quand Amélie-san ose remplir une tâche pour un autre département sans l'aval de ses supérieurs hiérarchiques directs, c'est la crise diplomatique, le déshonneur, l'affront le plus total – la valorisation de l'esprit d'initiative, débat récurrent dans nos entreprises internationales.
Stupeurs et tremblements met en lumière les comportements aberrants qui sont pourtant monnaie courante dans les entreprises : salariés sacrifiant leur vie, leur sommeil et leur fierté sur l'autel de la productivité et de la réussite chiffrée, managers abusant de leurs positions pour martyriser de pauvres employés subalternes, tâches abrutissantes répétées à l'infini jusqu'à épuisement… Amélie Nothomb relève toutes ces « petites » choses avec humour, bon sens et rationalisme : on en rigole, on réalise à quel point c'est hallucinant de vivre comme ça, de vivre pour ça – et pourtant c'est bien ce qu'on fait.
Loin de dénigrer totalement l'entreprise dans laquelle elle se trouve et le quotidien qu'elle subit, Amélie Nothomb n'hésite pas à passer sa propre personnalité, ses propres réactions et ses propres actions au crible de son regard impitoyable – ce qui ne fait que renforcer le sentiment d'aberration absolue. Amélie-san semble en effet donner le meilleur d'elle-même, ne subir que le pire de ce que l'entreprise peut lui donner, et pourtant, sa fierté est au niveau zéro, elle continue à nous faire croire que tout est de sa faute, que c'est elle qui n'est pas à la hauteur de l'honneur qui lui est fait. C'est là que le choc des cultures est le plus présent, le plus visible : l'individu au Japon n'est défini que par sa performance au travail. le travail bien fait est la norme, il n'est pas récompensé. le moindre manquement par contre, la moindre défaillance est fustigée, reprochée, jusqu'à la déchéance professionnelle de l'individu qui a osé la commettre. La remise en question de l'entreprise, de ses codes et de sa hiérarchie n'est pas acceptable, même pas envisageable – et c'est seulement sur la fin qu'Amélie commence à émettre quelques critiques par rapport aux abus qui lui sont imposés.
C'est un récit prenant et drôle, qui remet en perspective notre façon de vivre et de travailler au quotidien. Une littéraire rêveuse dans un monde capitaliste et hiérarchique impitoyable : un antagonisme impeccable où l'ajustement n'est ni possible ni permis. Seul l'humour est permis pour rendre la situation supportable, en attendant de pouvoir en sortir. Un bel exemple de l'absurdité de notre système actuel.
Lien : https://theunamedbookshelf.c..
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