Les sept secondes de l'arc-en-ciel

Tu penses que les brûlures anciennes ne sont que cendres sans vie mais le feu de l'amour soudain les fait braise et la passion les consume, ne t'en détourne pas!

Il adorait voir les seins de Séléné suivre les souples mouvements du buste et des bras. Le mouvement naissait au fond des entrailles et se répandait sur la toile. Séléné, d’un dernier coup de pinceau, donna naissance à une trace blanche. Elle jeta le pinceau sur le sol en poussant un petit cri de satisfaction.

Il aimait la fougue de Séléné, son mystère, sa spontanéité, le silence dans lequel elle l’avait laissé. Il y voyait le signe avant-coureur d’une grande liberté, d’une passion qui pourrait se développer sans tomber dans les pièges mortels des relations amoureuses. Il espérait, il croyait, il rêvait de toucher à l’inaccessible. Il croisa quelques personnes qui ne purent s’empêcher de lui sourire.

Par moments il avait envie de courir. Il avait la sensation d’avoir retrouvé ces moments de l’adolescence où tout l’être se précipite vers l’amour avec une joie de jeune animal aux premiers jours du printemps. Depuis combien d’années n’avait-il pas ressenti ce trouble profond de l’esprit et des sens, cette folle électrification du réseau cellulaire dirigé vers un être.

Cette nuit-là, il la vit en rêve. Nue, couchée sur une grande feuille, elle dérivait sur un fleuve couleur de nuit indienne. Il sentit viscéralement l’ombre au fond des eaux qui la portaient et, en transparence, flottant entre deux courants, il vit le corps lumineux de Séléné dont la clarté lunaire touchait ses tréfonds. Il se réveilla profondément troublé par cette vision. Une intense félicité le traversa puis il se rendormit, pénétré du parfum de rose musquée de Séléné.

Pour lui la beauté expressive passait avant tout et il lui était déjà arrivé de choisir une prise avec une imperfection simplement parce qu’elle était plus belle, plus essentielle. Il regrettait parfois le temps où, avant l’avènement du digital, il fallait trancher la bande magnétique. Ce geste avait une valeur symbolique forte que le montage digital, si simple, perdait.

Avec les garçons, on ne peut parler de rien, ils ne pensent qu’à mettre leur langue dans la bouche des filles.

Séléné avait un côté si indéchiffrable qu’il n’avait entretenu aucun fantasme quant à la suite de leur relation. Elle aurait très bien pu descendre du bus, lui donner un dernier baiser renversant et disparaître à tout jamais.

Sarah vivait seule. Comme elle le disait souvent, elle aimait trop les hommes pour s’en passer mais pas assez pour vivre avec eux. Elle profitait de ses nombreux voyages pour nouer des relations intenses et épisodiques avec des hommes et parfois des femmes qui souvent la poursuivaient de leurs assiduités. Plus d’une fois l’Adorateur l’avait sauvée en se prêtant au jeu des amants. Sarah était une sorte de marin de la musique. Un partenaire dans chaque port. En cela, elle s’entendait assez bien avec l’Adorateur, qui, après vingt-cinq ans de vie commune avec une grande violoniste, élève de Josef Szigeti, vivait seul, trop amoureux de sa liberté et de son indépendance.

Il y avait des moments dans l’œuvre où il fallait sentir l’arraché de l’archet sur la corde et l’Adorateur aimait entendre le souffle des instrumentistes, la respiration qui accompagne le phrasé, le crée, le féconde et le spatialise.