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Critique de Osmanthe


Nous sommes à l'hôtel Iris, dans une station balnéaire, peut-être au Japon. Dès l'entame, une scène qui va foudroyer Mari, 17 ans, fille de la tenancière dévolue à la réception et souvent aussi aux lessives et vaisselles : en pleine nuit, une femme qui vient manifestement de vivre des ébats sexuels, sort avec fracas de la chambre 202. Elle est en colère. L'homme occupant de la chambre finit par lui dire avec un formidable charisme : "Tais toi, putain." A partir de là, Mari fascinée va suivre cet homme déjà âgé, ce qu'il ne manquera pas de remarquer très vite. Il va l'attirer chez lui sur l'île toute proche où il vit comme un paria. Mari n'aura de cesse de voir et revoir cet homme étrange, toujours tiré à quatre épingles, qui vit de petits travaux de traduction de la langue russe. Sa femme est morte...étranglée semble-t-il accidentellement par un foulard qu'il conserve encore taché de sang...C'est que cet homme, gentil, maladroit et plutôt timide sur le continent, est transfiguré dans l'intimité du bureau de sa petite maison. Il ordonne, comme il l'a montré dans la chambre 202. Mari qui connaît encore mal son propre corps va découvrir les souffrances et délices de la soumission, du bondage dont le traducteur est un véritable maître. Humiliée et bafouée, Mari en redemande. Elle doit cependant faire face à la redoutable femme de ménage du petit hôtel de sa mère, garce qui la vole et qui bientôt va comprendre que Mari embobine sa mère sur l'objet de ses sorties aussi urgentes qu'impératives. Mari qui entretient cette relation captivante et malsaine avec ce traducteur aura bientôt la surprise de faire la connaissance chez lui de son neveu, jeune homme privé de langue, pour un étonnant repas où l'importance des textures, couleurs et saveurs est exacerbée...Ce troisième personnage risque bien de perturber l'équilibre de cette relation perverse...qui finira bien par se décanter...

J'ai trouvé ce roman absolument captivant de bout en bout, lu pratiquement d'une traite. Yoko Ogawa est au sommet de son art pour nous plonger, avec une écriture d'une grande finesse et élégance, dans les affres de cette jeune fille encore vierge qui découvre et se découvre dans des jeux et postures de plus en plus avilissantes. Baignant en plein masochisme, elle craint et désire en même temps ardemment ces scènes où elle sera dénudée puis attachée, cravachée par ce traducteur sadique, réduite à l'état d'objets ou d'animal, jusqu'à littéralement devenir en pensée ces choses. Le talent d'Ogawa rend particulièrement bien ce ressenti quasi onirique voire surréaliste, où la perversion mélange souffrance et jouissance et où la douleur, physique et psychologique semble dangereusement flirter avec la mort. La conduite de l'intrigue est remarquable, et l'auteure sait la maintenir jusqu'au bout sur le fil coupant d'une lame, on se dit qu'un drame va survenir, mais où, quand, comment ? Reste que je me demande un peu comme d'autres lecteurs ici ce qui a bien pu prendre à Mari de tomber sous l'emprise de cet homme dont elle se rend bien compte qu'il présente aussi les aspects peu reluisants de la vieillesse (surtout en comparaison du neveu !). Les motivations des personnages sont obscures, à chercher sans doute dans leur histoire personnelle...et puis le traducteur écrit un livre dont l'héroine Marie a pour amant son prof d'équitation qui la cravache...Son lien avec le neveu est empreint d'amour presque filial, mais peut-être teinté d'homosexualité, et toujours avec la mort qui rôde, le neveu ayant vécu avec sa mère la scène de la mort horrible de sa tante...Et puis ce même neveu qui n'a pas de langue, c'est peu banal, et permet à Ogawa une nouvelle fois d'exceller à créer une atmosphère où les cinq sens des personnages, ou paradoxalement leur absence, sont particulièrement prégnants.

Quelle étrange atmosphère, qui comporte des scènes parfois dérangeantes, mais aussi comme citées par ailleurs d'une forte sensualité.

Ogawa est pour moi décidément digne des grands maîtres de la littérature japonaise. Non seulement elle excelle sur les atmosphères étranges autour des sens, mais en plus elle rejoint ici les Mishima, Kawabata et Tanizaki qui ont si bien écrit sur tous ces thèmes des perversions sexuelles et pulsions de mort.
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