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C'est un roman à l'odeur de poisson cru, celle de l'usine sur laquelle donnent la plupart des chambres de l'hôtel Iris, celle des milliers de poissons morts échoués sur la plage - pas très feel good. Mais sans doute y a-t-il aussi une certaine dose de masochisme en chacun de nous, et l'ambiance à la fois délicate et délétère, le style parfois très cru et détaillé dans les scènes sado-maso et sinon sobre, fin, élégant, ont quelque chose d'étonnant, de séduisant.
La vie de l'héroïne, Mari, est assez pourrie. Elle a dû quitter l'école et à 17 ans elle trime depuis deux ans comme une malade dans l'hôtel familial, avec sa mère qui selon elle ne se soucie que d'argent et ne l'aime pas beaucoup, et c'est à ça que se résume sa vie, sans amis ni petit ami.
Jusqu'à ce qu'elle suive un vieil homme à la mauvaise réputation et qui s'avère être expert en SM, ce qui est fort apprécié par Mari.: «Lorsqu'on me brutalise, lorsque je ne suis plus qu'un bloc de chair, naît enfin au fond de moi une onde de pur plaisir.» En dehors de leurs rendez-vous, il lui écrit de belles lettres d'amour qu'elle attend avec fébrilité et qui donnent à ses mornes journées un moment précieux lorsqu'elle se cache pour les lire.
Il n'y a pas de doute, même si c'est très loin d'être du pur amour, même si la lecture de leur histoire n'est pas exempte d'un certain malaise, ils s'aiment, leur relation est la seule source de joie dans la vie de la jeune femme comme dans celle du vieil homme, et il y a un contraste troublant entre ce point de vue et celui du monde extérieur qui fait De Mari une pauvre victime d'un sale pervers. Un roman dérangeant, qui a entre autre mérite de nous rappeler que le désir est bien plus complexe que ce que la bien-pensance en dit.
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J'ai approché Yôko Ogawa par La formule préférée du professeur : dont je mentionnait dans ma critique : "Parfait comme ce petit livre qui dans mon firmament vient rejoindre pas moins que la planète du Petit Prince." C'est dire si je ne m'attendais pas nécessairement qu'une rencontre aussi magique se répète avec Hôtel Iris. Mon expérience avec St Exupéry a été qu'aucun de ses romans ne m'a jamais emporté aussi haut que le Petit Prince. Ce n'est donc pas une déception, loin s'en faut ! J'ai vraiment beaucoup aimé cette plongée dans un univers complètement différent dont seule la beauté de l'écriture est commune.

C'est l'histoire d'une Lolita de 17 ans, quand même, qui est troublée par l'éclat de voix d'un homme, de 50 ans plus âgé, sur une prostituée qu'il jette dans le plus simple appareil hors de sa chambre d'hôtel où elle Mari, fille de la propriétaire, opère comme réceptionniste. Troublée au point de pister l'homme un dimanche après-midi quand elle l'aperçoit lors d'une promenade en ville dans cette station balnéaire au Japon. Le suivre évidemment jusqu'à ce qu'il s'en rende compte, au point que la rencontre ait lieu et d'apprendre qu'il est traducteur de Russe vivant seul sur l'île d'en face... C'est le début d'un étrange amour...

- Etrange jusqu'où ?
- En amour, cela ne peut être que jusqu'au bout.
- Attachée à ce point ? A un vieux de 67 ans ?
- Oui mais Mari, son papa est mort lors d'une rixe lorsqu'elle avait huit ans et son papy peu après.
- D'accord, mais attachée ?
- Il faut savoir que Mari, sa maman n'a jamais voulu autre chose qu'une fille docile. A 17 ans si souple, encore si malléable.
- Et lui, sa femme morte de façon tragique et mystérieuse ?
Ah, comme Yôko Ogawa, m'interpelle. Et qu'il est difficile de ne pas juger !

Etrange plongée dans une aquarelle. Fascinant Japon où l'écriture est un art, l'emballage aussi et les bouquets naturellement : Iris. Et puis, plus troublant, le kinbaku*. Trouble des sentiments, trouble des sens, découverte du corps, voilà où nous entraîne cette belle écriture sensuelle empreinte d'un profond érotisme et d'une grande connaissance de l'âme humaine et ainsi l'on se retrouve, sans même vraiment s'en rendre compte, enchaîné à cette histoire et exposé à nous-même. Obsédant, déstabilisant, jamais glauque.

Mais pour Mari la plongée est douloureuse et dangereuse, car le traducteur a parfois des montées de colère froide qu'il ne contrôle pas. Et comme il n'y a rien de plus beau qu'un amour tragique, on ne peut s'empêcher de trembler, jusqu'à la fin. Tenter de reprendre son souffle... à la limite de l'asphyxie, et s'interroger pendant et encore après. Du grand art, je dis !

* J'en ai appris des nouveaux mots sur ce site comme BDSM, et moi, pauvre clown qui croyait que c'était une BD sado-maso. Pas du tout ! Heureusement, il y a wiki.
Par hasard j'ai aussi trouvé le mot kinbaku dans une autre critique alors j'ai été regarder sur le net avant de l'utiliser et voilà ce que j'ai trouvé :
"Le kinbaku, tout comme le shibari, est une pratique éroticisée dérivant de l'hojojutsu. Les méthodes autrefois utilisées pour restreindre des prisonniers ont été légèrement modifiées pour jouer sur la frontière entre douleur et plaisir... l'intention initiale de torture devient un élément consensuel dans le cadre du BDSM."

Etrange Japon qui continue à me fasciner...
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A dix-sept ans, Mari tient la réception de l'hôtel Iris, l'établissement un peu miteux appartenant à sa mère, une femme autoritaire qui la brime. Dans cette station balnéaire japonaise, les distractions sont rares pour Mari, occupée à l'hôtel du matin au soir.
Une nuit, le silence est brisé par une terrible dispute. Une prostituée échevelée et nue fuit la chambre 202 en accusant son occupant des pires perversions. Tandis qu'elle hurle, l'homme la fait taire en quelques mots, d'une voix calme et ferme. Et Mari est immédiatement envoûtée par cette voix qui l'apaise. L'homme est âgé, sa réputation sulfureuse, mais la jeune fille ne peut s'empêcher de le suivre lorsqu'elle le retrouve par hasard en ville. Commence alors entre la réceptionniste et celui qui se présente comme un traducteur du russe, une relation, d'abord épistolaire, qui finit par devenir physique. Mari invente tous les prétextes pour rejoindre le traducteur sur son île et se soumettre à sa volonté de fer. Timide et respectueux en public, le vieil homme devient un maître du bondage et du sado-masochisme dans le secret de sa cabane.


Etrange plongée dans l'écriture fascinante et dérangeante de Yôko Ogawa. Poésie et délicatesse y tutoient violence et cruauté. le malaise que l'on ressent à la lecture de ce roman vient bien sûr du sujet, la relation sado masochiste entre une jeune fille et un vieillard. Mais elle se ressent aussi dans l'ambivalence des personnages. Ce vieux monsieur solitaire, poli, au look désuet, peut se monter d'une extrême prévenance mais aussi d'une extrême violence. Sujet à des crises, il souffle le chaud et le froid. Mais rien ne semble déstabiliser sa jeune partenaire, mélange de naïveté et de perversion. Mari est amoureuse, attachée dans tous les sens du terme et ne vit que pour obéir à son amant et tenter de le satisfaire du mieux qu'elle peut. Les sévices et les humiliations n'ont aucune prise sur ses sentiments qu'elle juge normaux et naturels. Pourtant une telle relation est vouée à s'achever dans le drame. C'est par le biais d'une troisième personne qu'il adviendra. La mère ? Non, elle semble trop égocentrique pour se rendre compte des changements intervenus chez sa fille. La femme de ménage de l'hôtel ? Elle sait que Mari est amoureuse mais ne peut la dénoncer à sa mère car la jeune fille connait aussi l'un de ses secrets. Non, le déséquilibre viendra du neveu du traducteur, un jeune homme muet car privé de sa langue pour lequel son oncle déploie des trésors d'ingéniosité en cuisine. Cet être étrange qui ne communique que par écrit va faire basculer la relation entre les amants…
Un roman qui dérange, qui flirte avec le malsain mais sans jamais tomber dans le glauque. Ogawa reste toujours sur la ligne de crête, les descriptions sont suggestives, sensuelles, érotiques sans être pornographiques. Malgré la violence, la cruauté n'est peut-être pas dans les gestes mais dans le jeu des sentiments subtilement pervers qui s'établit entre ces personnages ambigus dans leur banalité opposée à la violence de leur passion. Comme toujours avec cette auteure, la lecture n'est pas un long fleuve tranquille mais une suite de surprises qui piquent la curiosité, qui grattent les certitudes, qui distillent le malaise. Une grande auteure.
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Mari, dix-sept ans, dominée par sa mère, est réceptionniste à Hôtel Iris le petit hôtel familial dans une station balnéaire, perdue au find fond de l' archipel. Quand, à l'occasion d'une altercation entre une prostituée et un vieil homme, elle entend la voix calme et apaisante de ce dernier, elle est irrésistiblement attirée. S'engage alors une relation faite d'échanges de lettres, de gestes respectueux qui alternent avec des moments de soumission, de domination perverse et d'expériences de douleurs recherchées et subies avec celui qu'elle appelle le traducteur.

Il y a bien longtemps que je n'avais pas été aussi dérangée à la lecture d'un récit de Yôko Ogawa, c'était le musée du silence...Avec Hôtel Iris c'est une jeu étrange et dérangeant qu'engage la jeune Mari quand elle reconnaît en cet homme une force de domination à laquelle elle se soumet volontairement, peut-être pour échapper à celle imposée par sa mère. Avec un style extrêmement distanciée et clinique, Yôko Ogawa décrit tous les fantasmes interdits ou pervers que la jeune fille anticipe et ceux auxquels elle se soumet, plus soucieuse de respecter et d'accomplir les gestes, même les plus dégradants avec perfection pour satisfaire cet homme, que de se plaindre de sa violence, ce dernier alternant cruauté et prévenance.
Une relation perverse car acceptée et même recherchée mais qui peut laisser un malaise prégnant.
A déconseiller pour une première découverte de Yoko Ogawa, à mon sens.
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Yoko Ogawa nous a habitués à des ambiances bizarres et changeantes dans chacun de ses livres. On est loin ici de "La formule préférée du professeur". L'atmosphère de ce roman est non seulement spéciale, mais clairement sado-masochiste. Autant le savoir.

Une jeune fille, dont le père est décédé, est contrainte par sa mère à s'occuper de la pension de famille et sa mère l'accapare à ce point qu'elle la coiffe encore tous les jours, décidant de son aspect extérieur. Un incident se produit à l'hôtel entre un couple de clients, la femme accusant l'homme devant tout le monde de pratiques non habituelles et la jeune fille, rencontrant dans la ville ledit homme, va commencer à le suivre. Une relation va naître entre eux.

L'auteure nous raconte cette histoire sans mièvrerie mais sans exhibitionnisme non plus, nous assurant une littérature de qualité comme à l'accoutumée, sauf que le thème est un peu dérangeant pour celui ou celle qui ne prise pas ce style d'histoires.
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Il n'y a plus d'homme dans la famille mais reste ma mère, qui préfère que je tienne la réception de son hôtel et prépare les déjeuners des touristes, plutôt que de terminer mes études. Une rentrée d'argent, c'est toujours ça !

Entre papa qui est mort il y a longtemps dans des conditions floues, papi qui était gravement malade jusqu'à ce que la maladie soit la plus forte et ma mère qui ne manifeste que de la désaffection à mon encontre, la vie n'est pas très exaltante à presque 18 ans.

Et puis un jour, une voix masculine s'est élevée dans une chambre de l'hôtel "Tais-toi, putain". "C'était une voix épaisse et profonde. Elle ne contenait ni irritation, ni colère." Il avait 50 ans de plus que moi, son corps respirait la vieillesse et pourtant...sa voix. "Je me suis dit que je n'avais encore jamais entendu un ordre résonner d'une manière aussi belle. Il en émanait sang-froid, majesté et conviction."

Suis-je tombée amoureuse d'une voix ? Oui, mais pas seulement. Lui aussi avait ses fractures, ses blessures. Alors je l'ai suivi, dans les rues au début puis...plus loin. Et j'ai été heureuse. Lui et moi. Que lui et moi.

Ce roman est très beau. Je le conseille. Les personnages sont très bien décrits et l'histoire d'amour magnifiquement décrite par Yôko Ogawa, dans les non-dits tout comme dans les ressentis des personnages, où parfois le rêve se mélange à la réalité.
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Un roman bien barré
C'est un roman très dérangeant mais parfaitement maîtrisé.
Mari, la narratrice, a dix-sept ans. Elle est réceptionniste à l'hôtel Iris, un établissement miteux situé dans une ville balnéaire. Elle vit avec une mère dépourvue de tendresse, acariâtre, pingre, vulgaire. Sa vie bascule quand un soir, une prostituée sort de la chambre 202 en insultant son client, l'accusant d'être un sale pervers, un vieux salaud. Un vieil homme élégant et distingué sort alors à sa suite en disant " Tais-toi, putain ". La mère le chasse mais Mari, fascinée par son sang-froid, sa majesté et sa conviction décide de le retrouver.
L'histoire parfaitement immorale est racontée dans un style sobre, épuré, sans affect. La narratrice décrit sa passion masochiste sans la remettre en cause, comme si elle était banale. Le vieil homme lui plaît et c'est tout. Ils se voient sur une île et Mari nous rend complices des stratagèmes utilisés pour tromper la vigilance de sa mère et de la femme de ménage, personnages détestés. Elle décrit donc minutieusement les humiliations que le vieux lui a fait subir en y mêlant des réminiscences de moments tendres vécus avec son père des années auparavant. Celui-ci est mort, violemment. Le vieil homme est lui-même un personnage double, tantôt paternel, tendre, affable, maladroit, tantôt effrayant, violent, sadique, morbide.
Est-ce la réalité ? Est-ce un cauchemar ? L'histoire baigne dans une atmosphère de torpeur estivale propice à la fantasmagorie. Des poissons morts par centaines vont venir s'échouer sur la plage, raccourcissant la saison touristique. Les lieux sont eux-mêmes irréels. L'hôtel Iris comme un îlot de vulgarité et l'îlot du vieux pervers, à l'écart des conventions. Au milieu de tout ça un neveu aphasique qui a subi une ablation de la langue...
Une lecture dérangeante, des interrogations, des énigmes, une écriture reconnaissable. De la littérature.
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Hôtel iris est à mon avis l'un des meilleurs livre de l'excellente Yoko Ogawa.
Le roman fait le récit de la relation d'amour et de jeu pervers qui va se nouer entre un vieux traducteur de russe vivant reclus sur une île et Mari, jeune fille travaillant dans l'hôtel familial miteux nommé hôtel Iris, non sans ironie par Ogawa, qui vit sous la coupe étouffante d'une mère omniprésente et insensible. La vie De Mari va basculer le soir où elle va être spectatrice d'une scène insolite à l'hôtel Iris : une prostituée sort et insulte un vieil homme élégant qui se voit accusé des pires déviances sexuelles par cette femme. A partir de là Mari, fasciné par cet homme, va prendre contact avec lui et débuter leur relation amoureuse...
Dans ce roman, Yoko Ogawa exerce son talent majeur : semer de manière insidieuse et croissante le malaise chez le lecteur. Tous les éléments de sont mobilisés dans ce but. Tout d'abord les personnages sont bien construits. le personnage du traducteur est assez effrayant avec son caractère instable qui alterne brusques et imprévisibles poussées de violence, comme lors de la scène où il tente d'étrangler Mari, et moments de tendresse où il se montre affable et protecteur envers Mari ou son neveu.
Cependant, Mari est le personnage le plus troublant du récit. Si le lecteur peut avoir de la sympathie pour elle en raison de la vie qu'elle mène, seule depuis le décès des autres membres de la famille avec une mère égocentrique et maniaque, et de son caractère naïf, Mari nous dérange aussi car elle donne l'impression de considérer sa relation destructrice avec le traducteur et la manière dont celui-ci lui témoigne son amour comme une passion amoureuse anodine et normale.

En outre j'ai apprécié la construction du récit qui alterne habilement entre scènes de sexe SM et moments lents. L'accélération notable à la fin du récit provoquée par l'arrivée imprévue, du moins pour Mari, du neveu du traducteur est bien construite car elle remet en question l'équilibre, si l'on peut employer ce terme, qui s'était instauré entre Mari et le traducteur en attisant les passions des personnages.
Le roman est d'autant plus fort que la fin est réussie : le traducteur disparait dans les abysses de l'océan avec ses secrets, laissant le lecteur interdit et sans réponses. Un seul bémol : je pense que l'épilogue au dernier chapitre est superflu.

Tout le talent de Yoko Ogawa est de déboussoler le lecteur par le récit d'une relation déviante qui nous interroge sur les origines de l'amour et du plaisir et sur l'attirance de l'homme pour la destruction et par extension la mort via la pratique du sado masochisme. Cet aspect est encore accru par le caractère anodin des personnages : un intellectuel solitaire et une jeune assez banale.

Un roman dérangeant qui me laisse un sentiment indécis, entre malaise et amertume. A lire pour tous ceux qui aiment être bousculés.

Ps : par rapport aux romans de Ryû Murakami, en particulier Ecstasy, Yoko Ogawa reste très sobre concernant les pratiques SM !
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Ce livre me laisse sans voix.
Tout est dans l'ambiance et dans les ressentis. L'écriture est extrêmement nuancée, on pourrait presque dire que le roman fourmille de détails, alors qu'il n'y en a pas pléthore. Parce que, comme le soulignent beaucoup de lecteurs, on est dans un temps et dans un lieu indéterminés, l'imagination est beaucoup à l'oeuvre, mais les chemins sont sensiblement tracés pour nous guider.
La violence et la douceur se mêlent habilement, ce qui m'a laissée fortement démunie, curieuse, fascinée, peut-être abjectement fascinée... Je suis peut-être sans voix parce que je suis profondément touchée. Yoko Ogawa remue des choses et nous confronte à nos propres secrets, nos tourments, et notre (triste) faculté à ne voir que la vaste surface des choses.
Comme à son habitude, Yoko Ogawa peint une relation inédite et mystérieuse entre des personnages tout à fait singuliers.

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Nous sommes à l'hôtel Iris, dans une station balnéaire, peut-être au Japon. Dès l'entame, une scène qui va foudroyer Mari, 17 ans, fille de la tenancière dévolue à la réception et souvent aussi aux lessives et vaisselles : en pleine nuit, une femme qui vient manifestement de vivre des ébats sexuels, sort avec fracas de la chambre 202. Elle est en colère. L'homme occupant de la chambre finit par lui dire avec un formidable charisme : "Tais toi, putain." A partir de là, Mari fascinée va suivre cet homme déjà âgé, ce qu'il ne manquera pas de remarquer très vite. Il va l'attirer chez lui sur l'île toute proche où il vit comme un paria. Mari n'aura de cesse de voir et revoir cet homme étrange, toujours tiré à quatre épingles, qui vit de petits travaux de traduction de la langue russe. Sa femme est morte...étranglée semble-t-il accidentellement par un foulard qu'il conserve encore taché de sang...C'est que cet homme, gentil, maladroit et plutôt timide sur le continent, est transfiguré dans l'intimité du bureau de sa petite maison. Il ordonne, comme il l'a montré dans la chambre 202. Mari qui connaît encore mal son propre corps va découvrir les souffrances et délices de la soumission, du bondage dont le traducteur est un véritable maître. Humiliée et bafouée, Mari en redemande. Elle doit cependant faire face à la redoutable femme de ménage du petit hôtel de sa mère, garce qui la vole et qui bientôt va comprendre que Mari embobine sa mère sur l'objet de ses sorties aussi urgentes qu'impératives. Mari qui entretient cette relation captivante et malsaine avec ce traducteur aura bientôt la surprise de faire la connaissance chez lui de son neveu, jeune homme privé de langue, pour un étonnant repas où l'importance des textures, couleurs et saveurs est exacerbée...Ce troisième personnage risque bien de perturber l'équilibre de cette relation perverse...qui finira bien par se décanter...

J'ai trouvé ce roman absolument captivant de bout en bout, lu pratiquement d'une traite. Yoko Ogawa est au sommet de son art pour nous plonger, avec une écriture d'une grande finesse et élégance, dans les affres de cette jeune fille encore vierge qui découvre et se découvre dans des jeux et postures de plus en plus avilissantes. Baignant en plein masochisme, elle craint et désire en même temps ardemment ces scènes où elle sera dénudée puis attachée, cravachée par ce traducteur sadique, réduite à l'état d'objets ou d'animal, jusqu'à littéralement devenir en pensée ces choses. Le talent d'Ogawa rend particulièrement bien ce ressenti quasi onirique voire surréaliste, où la perversion mélange souffrance et jouissance et où la douleur, physique et psychologique semble dangereusement flirter avec la mort. La conduite de l'intrigue est remarquable, et l'auteure sait la maintenir jusqu'au bout sur le fil coupant d'une lame, on se dit qu'un drame va survenir, mais où, quand, comment ? Reste que je me demande un peu comme d'autres lecteurs ici ce qui a bien pu prendre à Mari de tomber sous l'emprise de cet homme dont elle se rend bien compte qu'il présente aussi les aspects peu reluisants de la vieillesse (surtout en comparaison du neveu !). Les motivations des personnages sont obscures, à chercher sans doute dans leur histoire personnelle...et puis le traducteur écrit un livre dont l'héroine Marie a pour amant son prof d'équitation qui la cravache...Son lien avec le neveu est empreint d'amour presque filial, mais peut-être teinté d'homosexualité, et toujours avec la mort qui rôde, le neveu ayant vécu avec sa mère la scène de la mort horrible de sa tante...Et puis ce même neveu qui n'a pas de langue, c'est peu banal, et permet à Ogawa une nouvelle fois d'exceller à créer une atmosphère où les cinq sens des personnages, ou paradoxalement leur absence, sont particulièrement prégnants.

Quelle étrange atmosphère, qui comporte des scènes parfois dérangeantes, mais aussi comme citées par ailleurs d'une forte sensualité.

Ogawa est pour moi décidément digne des grands maîtres de la littérature japonaise. Non seulement elle excelle sur les atmosphères étranges autour des sens, mais en plus elle rejoint ici les Mishima, Kawabata et Tanizaki qui ont si bien écrit sur tous ces thèmes des perversions sexuelles et pulsions de mort.
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