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Critique de HordeDuContrevent


Un livre de nouvelles constitue souvent pour moi une parenthèse, un moment de respiration, surtout lorsqu'il est lu entre deux gros livres. « La mer » de la nippone Yoko Ogawa a joué pleinement son rôle d'autant que j'ai pu y retrouver la plume élégante de l'auteure et ses thèmes majeurs dont ceux de l'onirisme et de la sensualité. Ce livre fut un bain de fraicheur bienvenu.

Le point commun entre ces nouvelles, très délicates, est l'attachement. Que ce soit par le biais du temps consacré, de l'aide, du don, de l'érotisme, de l'insolite, toutes parviennent à dévoiler le mécanisme à l'oeuvre dans l'attachement à une autre personne, de façon sensible et émouvante.

Ainsi la première nouvelle éponyme, "La mer", montre comment une conversation nocturne va naitre entre deux jeunes garçons qui ne se connaissent pas grâce à un instrument fabriqué par l'un deux, le merinkin, instrument très étonnant « fait d'une vessie natatoire de baleine à bosse. La surface de la vessie est recouverte d'écailles et à l'intérieur on a fixé des cordes faites à partir d'ailerons de poissons volants. Elles sont la source de vibrations et le tremblement de l'air se transmet aux écailles ». Un instrument dont on ne peut jouer qu'en bord de mer car sans brise de mer, pas de son.

Dans « Voyage à Vienne », nous assistons à un attachement tel qu'une femme, qui voulait seulement faire du tourisme à Vienne, va se retrouver toute la durée du séjour à veiller un mourant avec une femme rencontrée lors de ce voyage organisé. Cette nouvelle est l'occasion de réflexions touchantes sur la vieillesse et la mort : « J'ai regardé à travers la pièce. J'avais l'impression que tous les malades avaient le même visage. Les légères différences de coiffure, de forme d'oreilles ou d'épaisseur des lèvres étaient absorbées par l'ombre de la mort. Ils étaient tous recouverts d'un masque identique qui avait pour nom vieillesse et qui dissimulait leur figure d'origine ».

La troisième nouvelle « le bureau de dactylographie Butterfly » est la plus sensuelle de toutes. Pour ne pas dire érotique. La plus troublante. Une jeune femme est nouvellement recrutée dans un bureau de dactylographie. Ce bureau travaille essentiellement pour les étudiants de la faculté de médecine dont il faut taper en japonais les manuscrits. Certains termes médicaux reviennent ainsi très souvent et les caractères d'imprimerie correspondants s'abiment ainsi plus vite que d'autres. Un homme de l'ombre, un étage plus bas, veille à nettoyer ces caractères d'imprimerie, à les réparer le cas échéant. La jeune femme, amenant certains caractères abimés, ne le voit jamais derrière sa vitre, elle ne devine que sa main et sa chemise bleue. Elle entend sa voix. Afin de renouveler ce contact qui la trouble complètement, elle va trouver des prétextes quitte à malmener son matériel… « Il fait courir ses doigts sur le bi blessé, sur le kô déséquilibré. Caresse les courbes, pince les protubérances, applique sa chair sur les interstices. Il souffle dessus, les réchauffe de ses lèvres, les lèche. Comme il s'attarde minutieusement sur les endroits qui manquent, on dirait que sa langue y adhère et on a presque l'illusion qu'elle ne peut plus s'en détacher. C'est pour ça que sa langue elle aussi a pris la couleur du plomb ». Cette nouvelle fait irrésistiblement monter une tension sexuelle qui n'est pas sans rappeler celle de « l'Hotel Iris » de la même auteure qui m'avait tant marquée il y a des années déjà.

Dans « le camion de poussins », un homme noue une complicité avec une petite fille, devenue muette, on le devine sans doute un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes dont elle fait don à cet homme. Elle est également très intéressée par un camion qui passe régulièrement, transportant des poussins de toutes les couleurs. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces milliers de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...

Certaines nouvelles sont très courtes comme « Crochet d'argent » qui évoque le souvenir des ancêtres, ou encore « Boites de pastilles » qui montre comment un conducteur de bus scolaire parvient à consoler les chagrins des enfants.

Le livre se termine avec une belle nouvelle « le Guide », rencontre entre un vieil homme, ancien poète devenu « titreur », métier étonnant inventé par l'auteure, et un petit garçon, fils de la guide qui en connait un rayon sur sa ville. Un bel échange de savoirs et une ode à l'amour maternelle.

Le livre est empli de descriptions poétiques qui m'ont apporté beaucoup de paix : « le moment que l'homme préférait parmi ceux qu'il passait près de la fenêtre était celui qui précédait l'aube. L'obscurité se dissolvait petit à petit à partir de la bordure est du ciel qui commençait à se teinter d'une sensation lumineuse. Les étoiles s'éteignaient l'une après l'autre, la lune s'éloignait. Alors que le monde s'apprêtait à changer d'une manière aussi audacieuse, il n'y avait pas un bruit. Tout se modifiait dans le calme ».

Ce recueil de nouvelles fait la part belle aux enfants, j'ai été touchée par la façon bienveillante dont ils sont perçus et décrits : « Son nez, ses oreilles et son dos, simplement parce qu'ils étaient petits, faisaient sentir que Dieu y avait apporté un soin particulier. Ses cheveux sentaient bon. le noir de ses pupilles était si profond qu'on en aurait presque oublié qu'ils étaient là pour voir quelque chose. A la pensée que lui aussi, à l'âge de six ans, avait peut-être été comme ça, sans raison il se sentait malheureux ».

« La mer », sous la plume japonaise de Yoko Ogawa, se fait lac silencieux. Surface lisse quasi-immobile sans fracas, sans récif, sans lyrisme que l'auteure éclaire sensuellement de petites tâches de soleil, délicates lumières inattendues et étonnantes, et de tourbillons cachés dans les profondeurs, transformant l'ordinaire en extraordinaire.


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