A mes yeux ce n'était pourtant pas le destin ou le hasard qui m'avait conduit chez Chao Lee mais quelque chose de plus subtil et de plus intime, quelque chose dont on ne peut parler explicitement sans s'exposer à de gros risques mais que moi, je ne peux définir avec un autre mot que celui qui lui revient légitimement, je veux dire le romanesque dont je respirais depuis toujours l'air fébrile et qui trouvais ici sa température la plus élevée.
L’écriture n’était-elle pas peut-être un instrument magique qui remplissait l’obscurité de lumière ?
Parce qu'on a beau se démener pour vivre intensément ,pour faire ceci et cela ,pour en voir de toutes les couleurs,eh bien, tant que les autres ne le savent pas, tant que l'on n'est pas raconté par quelqu'un ,tant que l'on ne se raconte pas ,on continue à n'être rien , personne.
J’avais l’impression qu’elle parlait un peu à tort et à travers et c’est pourquoi je la suivis docilement.
Certes, si j’avais dû gagner ma vie j’aurais été contraint d’occuper mon temps de bien d’autres façons, mais ma famille était alors, et j’ai des raisons de croire qu’elle continue à l’être, même si je n’ai pas de nouvelles récentes d’elle, plutôt aisée, suffisamment en somme pour permettre à chacun de ses membres de vivre dans cette sphère dont l’accès est refusé aux indigents, où parmi tant de gens il est donné de s’écouter surtout soi-même.
Quand arriva la lettre de Caspar Jacobi j’avais sinon oublié du moins laissé en suspens et archivé la prédiction de cette grasse gitane de Feltre connue sous le nom de comtesse Zobenigo qui, en examinant ma vie future, y avait remarqué quelque chose d’obscur, une sorte de guet-apens dressé par quelqu’un qui m’attendait, un ennemi ou une bête féroce prête à bondir sur moi quand je passerais près d’elle.